Rupture brutale des relations commerciales établies : un préavis exceptionnellement long autorise-t-il une baisse des volumes ?
Cass. com., 19 mars 2025, n°23-23.507, F-B
Ce qu'il faut retenir :
Une baisse des volumes d’achat en cours de préavis n’est pas constitutive d’une rupture brutale des relations commerciales établies dès lors qu’elle intervient après une période minimale de maintien des conditions antérieures, que le partenaire en a été informé dès le départ, et que la durée du préavis dépasse significativement les usages de la profession.
Pour approfondir :
En l’espèce, un distributeur d’articles de sport entretenait depuis 23 ans une relation commerciale avec un fournisseur d’appareils d’électrostimulation, avant d’y mettre fin.
En 2017, le distributeur a informé son cocontractant d’une réduction de ses achats de 15% pour l’année 2018 ; puis a annoncé, en 2018, sa volonté de mettre fin à leur relation commerciale à compter du 1er janvier 2021 en précisant qu’il réduira progressivement son volume d’achats rédaction : de 800.000 euros en 2017 à 600.000 euros en 2018, puis 500.000 euros en 2019 et 200.000 euros en 2020, avant l’arrêt total et définitif de la relation.
Reprochant au distributeur d’avoir brutalement rompu la relation commerciale établie entre eux, le fournisseur l’a assigné en réparation de son préjudice.
Le fournisseur estimait que les relations commerciales auraient dû être maintenues pendant toute la durée du préavis.
Rappelons que l’article L. 442-1, II du Code de commerce sanctionne le cocontractant qui rompt brutalement des relations commerciales établies : il s’agit d’une rupture lorsque l’auteur met fin ou modifie substantiellement la relation. La rupture est brutale si l’auteur de la rupture ne respecte pas un délai de préavis ou un délai de préavis suffisant pour permettre au partenaire évincé de s’adapter, en trouvant notamment des solutions alternatives.
L’article L. 442-1, II du Code de commerce prévoit que la durée du préavis doit tenir compte notamment de la « durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».
Sauf circonstances particulières, les relations commerciales doivent être maintenues pendant toute la durée du préavis, impliquant que les modifications qui peuvent être apportées au préavis ne doivent pas être substantielles.
Les cas de « circonstances particulières » peuvent viser le cas où l’auteur de la rupture propose à son cocontractant une solution de remplacement pendant le préavis ou, au cas d’espèce, lorsque la durée du préavis est exceptionnellement longue au regard des usages professionnels.
La Cour d’appel de Paris, puis la Cour de cassation, ont chacune jugé que le distributeur n’avait pas rompu de manière brutale la relation commerciale établie avec le fournisseur.
En tenant compte des éléments suivants :
- la durée des relations (23 ans),
- l’absence d’exclusivité entre les parties ,
- la part limitée du chiffre d’affaires du fournisseur réalisé avec le distributeur,
- l’absence d’investissements du fournisseur au titre de cette relation,
- les usages de la profession,
la Cour d’appel de Paris a déduit qu’un préavis de 10 mois semblait suffisant pour permettre au fournisseur de s’adapter.
La Cour d’appel a jugé à bon droit que la baisse de volume pendant la première année de préavis, qui n’était que de 15%, ne constituait pas une modification substantielle des conditions de la relation commerciale par rapport à la période antérieure à la notification de la rupture. Sans modifications substantielles pendant la durée du préavis, le distributeur n’a pas rompu de manière brutale les relations avec le fournisseur, en décidant de ne pas maintenir les conditions antérieures pendant toute la durée du préavis.
A contrario, si pendant la première année de préavis, le distributeur avait choisi de réduire drastiquement le volume d’affaires (par exemple de 50%), le juge aurait pu retenir que les conditions de la relation commerciale avaient été substantiellement modifiées pendant la durée du préavis et en conséquence sanctionner le distributeur pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Dit autrement, la durée exceptionnelle du préavis ne permet pas à elle seule d’écarter la qualification du rupture brutale des relations commerciales établies, dans le cas où, pendant la première année de préavis – c’est-à-dire pendant la durée minimale de préavis, l’auteur de la rupture modifie substantiellement les conditions antérieures.
Au-delà de la durée minimale de préavis, le distributeur n’est donc pas tenu de maintenir les conditions commerciales antérieures pendant toute la durée du préavis.
À rapprocher :
Un article rédigé par Fanny BARACH du département Concurrence, Distribution, Consommation