Incompétence de la juridiction non spécialisée en droit des pratiques restrictives de concurrence : un revirement longtemps attendu

Incompétence de la juridiction non spécialisée en droit des pratiques restrictives de concurrence : un revirement longtemps attendu

Com. 18 oct. 2023, FS-B+R, n° 21-15.378

Ce qu’il faut retenir :

Les articles L. 442-4, III (anciennement (L. 442-6, III) et D. 442-2 (anciennement L. 442-6) du Code de commerce désignant des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence instaurent une règle de compétence d’attribution exclusive et non pas une fin de non-recevoir.

 

Pour approfondir :

C’est un revirement de jurisprudence qui aura fait grand bruit dans la sphère juridique : après avoir longtemps soutenu que la saisine d’une juridiction non spécialisée concernant une demande faite sur le fondement de l’article L. 442-1 (anciennement L. 442-6) du Code de commerce était sanctionnée pas une fin de non-recevoir, la demande encourant donc l’irrecevabilité, la Cour de cassation revient sur sa position, grandement décriée par la doctrine, et admet dans cet arrêt particulièrement didactique que la règle instaurée est une règle de compétence d’attribution exclusive.

 

Dans cette affaire, une société avait été attraite, en vertu d’une clause attributive de compétence, devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne. Au cours de l’instance, la défenderesse a invoqué les dispositions de l’article L. 442-1 (anciennement L-442-6) du Code de commerce, et a demandé à la juridiction de se déclarer incompétente au profit du Tribunal de Marseille, spécialement compétent pour avoir à connaitre de sa demande reconventionnelle.

Le Tribunal de commerce de Saint-Etienne a fait droit à cette dernière demande et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Marseille pour connaître des moyens de défense fondés sur les dispositions de l’article L. 442-1 du Code de commerce. Appel a été interjeté de cette décision devant la Cour d’appel de Lyon.

 

La Cour d’appel de Lyon, dans sa décision du 3 décembre 2020, reprend la solution jurisprudentielle jusque-là communément admise, et énonce que « les dispositions de l’article D.442-3 n’instaurent pas des règles de compétence mais organisent le pouvoir juridictionnel de certaines juridictions ; ainsi, comme précisé ci-dessus, le défaut de pouvoir d’une juridiction non spécialisée ne constitue pas une exception d’incompétence mais une fin de non-recevoir », pour en déduire que les demandes de la demanderesse, désormais intimée, sont irrecevables, et ainsi infirmer le jugement.

Un pourvoi est formé contre cet arrêt.

 

Après avoir fait un rappel sous forme d’exposé de sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation, , dans son arrêt du 18 octobre 2023,  opère un revirement drastique, qualifiant sa position précédente de « construction jurisprudentielle complexe, qui ne correspond pas à la terminologie des articles D. 442-3 et D. 442-4 du code de commerce, devenus depuis, respectivement, les articles D. 442-2 et D. 442-3 de ce code » étant source « d’une insécurité juridique quant à la détermination de la juridiction ou de la cour d’appel pouvant connaître de leurs actions, de leurs prétentions ou de leur recours ». Elle rajoute qu’au surplus « sa complexité de mise en œuvre ne répond pas aux objectifs de bonne administration de la justice ».

La règle est désormais clairement posée : les articles L. 442-4, III et D. 442-2 du Code de commerce instituent une règle de compétence d’attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.

Ce revirement se base, comme la Cour de cassation a pris grand soin à l’expliquer, sur la lettre même des articles L. 442-4, III (anciennement L. 442-6, III) et D. 442-2 (anciennement L. 442-6) du Code de commerce, mais également sur celle de l’article 33 du Code de procédure civile dont il résulte que la désignation d’une juridiction en fonction de la matière relève de la compétence d’attribution.

 

La Cour de cassation précise que la règle instaurée est non seulement une règle de compétence d’attribution, mais de plus exclusive, et en tire la conséquence : « il en résulte que, lorsqu’un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l’article L. 442-6 précité, la juridiction saisie, si elle n’est pas une juridiction désignée par l’article D. 442-3 précité, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l’interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l’attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l’affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée ».

 

Le doute n’est plus permis !

 

A rapprocher :

 

Un article rédigé par Clémence Berne, du département Concurrence, Distribution, Consommation