Garantie de passif : Eclairage sur sa mise en œuvre
CA Rennes, 3 décembre 2024, n° 23/02376, Sté C2R Holding
Ce qu’il faut retenir :
La mise en œuvre d’une garantie de passif exige une attention particulière dans la rédaction de ses termes. Cet arrêt rappelle l’importance d’une rédaction précise des obligations de chacune des parties, notamment pour éviter la déchéance des droits à indemnisation au titre d’une garantie de passif.
Pour approfondir :
La Cour d’appel de Rennes, dans une décision rendue le 3 décembre 2024, a plus particulièrement examiné deux questions liées à la mise en oeuvre d’une garantie de passif : quel événement déclenche le point de départ du délai de notification ? La garantie peut-elle s'étendre à l'indemnisation d’un salarié licencié pour inaptitude postérieurement à la cession, lorsque cette inaptitude découle d’un accident antérieur à celle-ci ?
Les faits de l’affaire sont les suivants : un protocole de cession d’actions a été conclu entre la société cédante et l’acquéreur. Ce protocole comprenait notamment une clause de garantie de passif, imposant à l’acquéreur de notifier par lettre recommandée avec accusé de réception, tout événement susceptible de mettre en jeu la garantie dans un délai de 45 jours ouvrés suivant sa découverte, sous peine de déchéance de son droit à indemnisation.
C’est dans ce cadre que, lors de l’exécution de la garantie, des divergences ont émergé entre l’acquéreur et le cédant, portant à la fois sur la détermination du point de départ du délai de notification et sur certaines réclamations de l’acquéreur, notamment celles liées aux indemnités de licenciement que le cédant estimait exclues du champ de la garantie de passif.
S’agissant du point de départ du délai de notification, l’acquéreur considérait que le délai de 45 jours courait à compter de la date d’envoi de sa lettre recommandée, tandis que le cédant soutenait qu’il commençait à courir à partir de la réception effective de cette lettre par son destinataire.
La Cour d’appel de Rennes, se basant uniquement sur les stipulations contractuelles et relevant que le protocole prévoyait que « toute notification au titre du Protocole devra être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par lettre remise contre récépissé ou par acte extrajudiciaire.Elle sera réputée avoir été faite à la date de la première présentation », en a déduit qu’ « il s’ensuit, sans qu’il soit nécessaire d’interpréter ces clauses claires, que la date à retenir est celle de la présentation du courrier, soit l’avis de passage, et non la date d’envoi ou la date de réception, sauf lorsque celle-ci correspond à la date de présentation. »
Plus de 45 jours s’étant écoulés entre la prise de connaissance des anomalies par le cédant et la date de présentation de la lettre de réclamation à l’acquéreur, le délai contractuel de notification était dépassé. En conséquence, la Cour a refusé à l’acquéreur l’indemnisation du sinistre invoqué dans le cadre de la garantie de passif.
Une telle décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence actuelle en matière d’obligations d’information du garant, qui consiste à s’en remettre exclusivement aux stipulations contractuelles pour sa mise en oeuvre. Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause de déchéance doit être expressément prévue au contrat pour priver le bénéficiaire de la garantie en cas de manquement à son obligation d’information (Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-13.299). À l’inverse, si aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de cette obligation, il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement si ce manquement justifie une déchéance totale ou partielle de la garantie (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-17.843).
Enfin, la seconde question examinée par la Cour d’appel de Rennes portait sur l’application de la garantie à l’indemnité due à un salarié licencié pour inaptitude après la cession dès lors que cette inaptitude résultait d’un accident survenu avant celle-ci.
En l’espèce, la garantie de passif visait « toute diminution d’actif et/ou augmentation du passif qui […] aurait son origine, sa source ou sa cause dans des faits, évènements ou circonstances antérieurs à la date de cession. »
Pour considérer que les indemnités générées par l’inaptitude ne constituaient pas un passif antérieur à la cession, la Cour s’est fondée sur les dispositions du Code du travail, notamment l’article L. 1226-10, qui dispose qu’un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne peut être licencié que si son reclassement au sein de l’entreprise ou du groupe s’avère impossible. Or, en l’espèce, la Cour constate que la société n’a, postérieurement à la cession, ni proposé un poste adapté, ni démontré qu’un reclassement était irréalisable, conditions pourtant nécessaires pour procéder au licenciement.
Le licenciement ayant son origine dans l’impossibilité de reclassement du salarié, intervenue postérieurement à la cession, il n’était pas couvert par la garantie.
À l’inverse, lorsque l’entreprise est expressément dispensée de son obligation de reclassement, il a été jugé que le passif était alors considéré comme antérieur, permettant ainsi la mise en oeuvre de la garantie (Cass. com., 6 juillet 2022, n° 21-11.483).
À rapprocher :
• Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-13-299
• Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-17.843
• Article L.1226-10 du Code du travail
• Cass. com., 6 juillet 2022, n° 21-11.483
Un article rédigé par Patrice Montchaud et Yara Kheirbek, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions