Instauration d’un privilège environnemental en liquidation judiciaire

Instauration d’un privilège environnemental en liquidation judiciaire

Loi n°023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte

 

Ce qu’il faut retenir :

Promulguée le 23 octobre 2023, la Loi Industrie verte s’est notamment fixée pour objectif de réindustrialiser la France en favorisant la transition écologique par la prise en considération des enjeux environnementaux. Parmi les propositions adoptées, celles concernant la dépollution des friches industrielles pour permettre leur réemploi, marquent une évolution dans le Droit des entreprises en difficulté et consacre notamment un privilège environnemental dans le livre VI.

 

Pour approfondir :

En procédure collective, la situation du site industriel pollué se rencontre fréquemment. La liquidation judiciaire sans poursuite d’activité d’une entreprise exploitant un site soumis à déclaration, autorisation ou enregistrement est synonyme de mise à l’arrêt définitif de ce site, et déclenche l'obligation d'information des services préfectoraux et de remise en état[1] à la charge du dernier exploitant. En liquidation judiciaire, quoique n’étant pas formellement le dernier exploitant de l’installation classée, le liquidateur judiciaire - qui, par l’effet de la règle du dessaisissement[2] est seul habilité à représenter ès qualités les droits patrimoniaux du débiteur - hérite des obligations de celui-ci en qualité de dernier exploitant.

Il doit alors se soumettre à plusieurs obligations environnementales sans pouvoir opposer les règles de la procédure collective.

 

L’arrêt des poursuites, principe d’ordre public du Droit des procédures collectives, ne fait pas obstacle à ce que l’Administration mette en œuvre les mesures de police administrative. Les prescriptions administratives prises dans le cours de la liquidation judiciaire de la société s’imposent alors au liquidateur judiciaire ès qualités de dernier exploitant.

 

Tenu ès qualités aux obligations du dernier exploitant de l’ICPE, le liquidateur judiciaire ne peut agir que dans la limite des actifs dont il dispose et, dans le respect des règles de répartition et de paiements des créanciers. Or, pour traiter ces contraintes et préoccupations environnementales, les règles sont éparses, souvent construites par la jurisprudence et les bonnes pratiques et préconisations, qui vont - certes plus loin que le Droit positif - mais n’ont toutefois pas de caractère normatif[3].

 

La Loi Industrie verte opère un changement dans le paysage législatif. Si elle ne révolutionne pas profondément le traitement des créances environnementales en ce qu’elle légifère - somme toute - sur certaines solutions d’ores et déjà arbitrées par bon nombre des professionnels de l’insolvabilité[4], elle présente cependant la vertu d’intégrer pour la première fois, dans le Droit des entreprises en difficulté, les enjeux du Droit de l’environnement.

 

Sous l’impulsion du Conseil d’Etat[5], la Loi modifie les articles L. 641-8 et l’article L. 641-13 du code de commerce. La créance environnementale fait ainsi son apparition dans le livre VI du code commerce par la consécration d’un nouveau privilège : le privilège environnemental qui prend rang en 6° position dans l’ordre du paiement des créanciers :

« I.-Sans préjudice du droit de propriété ou de rétention opposable à la procédure collective et des dispositions des articles L. 622-17 et L. 641-13, le montant de l'actif distribuable est réparti dans l'ordre suivant :

(…°

6° Les créances nées régulièrement après le jugement ouvrant ou prononçant la liquidation mentionnée au quatrième alinéa du I de l'article L. 641-13 restées impayées à l'échéance ainsi que les créances résultant d'un arrêté pris en application du premier alinéa du 1° du II de l'article L. 171-8 du code de l'environnement ; ».

Sont ici visées les créances de mise en sécurité des sites pollués demeurés impayées qui comprennent notamment l’évacuation des produits dangereux, la délimitation d’accès au site, la suppression des risques d’incendie et d’explosion et la surveillance des effets de l’installation sur son environnement.

 

Les frais de sécurisation du site ainsi que les créances résultant d’un arrêté préfectoral de consignation de ces frais viendront donc juste après le privilège de conciliation s’ils n’ont pas été payés à l’échéance.

 

Le principe posé par la Loi demeure toutefois que de telles créances doivent être payées à l’échéance, en ce qu’elles relèvent du privilège de procédure de l’article L.641-13 du code de commerce. A rang égal de celui des créances « méritantes », les créances « nées pour assurer la mise en sécurité des installations classées pour la protection de l'environnement en application des articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 ou L. 512-12-1 du code de l'environnement » devront ainsi être payées à leur échéance.

 

Dans la pratique il était déjà affirmé que de telles créances de sécurisation pouvaient être qualifiées de créances postérieures privilégiées[6]. La consécration légale était attendue.

 

Nous ne pensons toutefois pas que cela conduise nécessairement la Haute juridiction à revoir sa jurisprudence (Cass. com. 5 février 2020, n° 18-23.961) qui avait écarté le caractère utile de la créance de remboursement des travaux de sécurisation réalisés par le propriétaire du site dans la mesure où, à notre sens, cette créance avait été analysée - non comme une créance environnementale découlant de la police des ICPE - mais comme une créance de recours indemnitaire du bailleur sur son preneur défaillant.

 

Enfin, autre enseignement de la Loi Industrie verte : en plaçant la mise en sécurité parmi les créances privilégiées, le législateur écarte ainsi les autres créances environnementales et clarifie le sort de la réhabilitation des sites qui ne sera engagée qu’après désintéressement des créances venant en rang plus utile et si les actifs le permettent.

 

A rapprocher :

[1] C. envir., art. L. 512-6-1, L. 512-7-6, L. 512-12-1, R. 512-39-1 s., R. 512-46-25 s. et R. 512-66-1 s.

[2] C. com. L. 641-9 

[3] Guide de « gestion des sites et sols pollués » 2003 et guide « à destination des administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et de l'inspection des installations classées » a pour « vocation de faciliter les relations entre les administrateurs ou les mandataires judiciaires et l'inspection des installations classées » du 12 juin 2012

[4] Circulaire du ministère de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement du 26 mai 2011 relative à la cessation d’activité d’une installation classée – chaîne de responsabilités – défaillance des responsables, MEDDTL n° 201114 du 10 août 2011, p. 44 et spéc. p. 58-59, qui considèrent les créances de la mise en sécurité du site comme étant rattachables « aux besoins du déroulement de la procédure » et bénéficiant ainsi du traitement de faveur de l’article L. 622-17 du Code de commerce.

[5] Avis du Conseil d’Etat : « Le Conseil d’État estime toutefois nécessaire de modifier le projet de loi afin de renforcer l’effectivité de la mesure, assurer sa cohérence avec le régime techniquement très complexe des procédures collectives et des créances privilégiées, et sécuriser juridiquement le dispositif proposé.

Il relève, à cet égard, que le projet de loi comporte une forme de contradiction, dès lors que l’administration ne peut se prévaloir du nouveau privilège qu’il crée qu’après la liquidation judiciaire, dont la procédure dure, en moyenne, trente mois dans la pratique, alors que les mesures de mise en sécurité, en particulier celles relatives à l’évacuation des produits toxiques, sont urgentes.

Il suggère, pour remédier à cette difficulté, de modifier l’article L. 641-13 du code de commerce. Par exception au principe selon lequel les créances ne peuvent plus être réglées à compter de l’ouverture de la procédure collective, cet article prévoit que certaines créances prioritaires postérieures à l’ouverture ou au prononcé de la liquidation, comme celles nées des besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité, sont payées à leur échéance. Le Conseil d’État propose d’y ajouter les créances concernant les opérations de mise en sécurité, compte tenu de leur caractère urgent. Il propose également de prévoir, à l’article L. 643-8 du code de commerce, que bénéficient du privilège les créances correspondantes restées impayées à l’échéance et celles résultant de l’obligation de consignation.

La combinaison de ces deux modifications permettra de clarifier les obligations de mise en sécurité, qui ont vocation à être réalisées et payées dès la phase de liquidation, et dont le solde des créances afférentes impayées est garanti lors de la répartition de l’actif par le privilège très favorable prévu par le projet de loi. »

[6] Circulaire du ministère de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement du 26 mai 2011 précitée.

 

Un article rédigé par Kristell Quelennec, du département Entreprises en difficultés et Restructuring