Violation d’une clause de non-concurrence post-contractuelle et tierce complicité

Violation d’une clause de non-concurrence post-contractuelle et tierce complicité

Article 145 Code de procédure civile

Cour d’appel de Caen, 2e ch. civ. 19 septembre 2024, n°23/02138

 

Ce qu’il faut retenir :

La preuve de la tierce complicité de la violation d’une clause de non-concurrence post-contractuelle peut être rapportée avant tout procès.

 

Pour approfondir :

En l’espèce, un Distributeur exerce une activité de distribution de matériels à destination de l’industrie agro-alimentaire (ci-après le « Distributeur »).

 

Depuis 1986, une société spécialisée dans la fabrication de machines-outils à destination de l’industrie agro-alimentaire (ci-après le « Fabricant ») confie la distribution de ses produits sur certains territoires à une société filiale du Distributeur dans les régions de l’Est de la France et à l’export (ci-après le « Distributeur Contractant »).

 

En 2013, un nouveau contrat de distribution exclusive à durée indéterminée est conclu entre le Fabricant et le Distributeur Contractant (ci-après le « Contrat »).

 

Le Contrat comportait une clause de non-concurrence post-contractuelle.

 

Le Fabricant a notifié au Distributeur Contractant la résiliation du Contrat.

 

Le Distributeur Contractant a fait assigner le Fabricant devant le Tribunal de commerce en réparation des préjudices résultant, selon elle, de la rupture brutale de leur relation commerciale.

 

Dans le même temps, le Fabricant a invoqué des agissements du Distributeur Contractant contraires à la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue au Contrat, avec la complicité du Distributeur.

 

Le Fabricant a obtenu par ordonnance du 6 février 2023 du Président du Tribunal de commerce, l’autorisation de pratiquer des mesures d’instruction à l’égard du Distributeur sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin de conserver la preuve de faits commis en violation de la clause de non-concurrence.

 

Le Distributeur a fait assigner en référé le Fabricant devant le Président du Tribunal de commerce aux fins de rétractation de cette ordonnance.

 

Par ordonnance du 6 septembre 2023, le Président du Tribunal de commerce a estimé qu’il existait un motif légitime de conserver la preuve de la violation par le Distributeur de la clause de non-concurrence post-contractuelle.

 

Le Distributeur a interjeté appel de cette décision. Ce dernier fait grief au premier juge d’avoir rejeté sa demande de rétractation de la décision autorisant des mesures d’instruction.

 

La Cour a confirmé l'ordonnance entreprise.

 

Elle a ainsi rappelé qu’en application de l’article 145 du Code de procédure civile, « la mesure d’instruction sollicitée doit être demandée avant toute instance au fond et suppose l’existence d’un motif légitime apprécié à la date du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de cette requête et de ceux produits ultérieurement ».

 

Il résulte de ces dispositions que les mesures prévues par l'article 145 du Code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement et qu'il appartient au juge saisi d'une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête de rechercher, même d'office, si la requête et l'ordonnance rendue sur son fondement exposent les circonstances justifiant que la mesure sollicitée ne soit pas prise contradictoirement (Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n°19-20.801).

La mesure d'instruction sollicitée doit être demandée avant toute instance au fond et suppose l'existence d'un motif légitime apprécié à la date du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de cette requête et de ceux produits ultérieurement.

Il appartient au demandeur à la mesure d'instruction de justifier de faits précis, objectifs et vérifiables rendant vraisemblable un litige opposant les parties, litige sur lequel le résultat de la mesure d'instruction sollicitée pourra influer.

Pour être légalement admissible, la mesure d'instruction sollicitée doit être proportionnée au but poursuivi et ne peut constituer une mesure d'investigation générale.

Il convient de rechercher si la mesure d'instruction litigieuse est indispensable à l'exercice du droit à la preuve et si elle est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

 

Selon la Cour, le Fabricant a rapporté la preuve de l’existence d’un motif légitime, dès lors qu’il ressort qu’au cours de la période d’application de la clause de non-concurrence post-contractuelle :

  • - le Distributeur Contractant a fait, sur son site internet, la promotion de produits similaires à ceux distribués par le Fabricant mais de marque concurrente,
  • - que le Distributeur Contractant était référencé par le concurrent du Fabricant comme son distributeur sur le territoire concerné par la clause,
  • - que le Distributeur Contractant s'est présenté sur le réseau professionnel Linkedin comme venant renforcer la notoriété du Distributeur sur les régions de l'Est de la France et dans les DROM TOM, territoire concerné par la clause de non-concurrence en cause,
  • - et que dans un article de presse publié par M. X se présentant comme président du groupe du Distributeur, a indiqué qu'après la prise de contrôle du Distributeur, le groupe était présent dans les DROM TOM.

 

Ces éléments sont corroborés par la vente, par le Distributeur, à un client du Fabricant, d'une machine portant le logo du Distributeur, ainsi que celui du Distributeur Contractant.

 

Ce faisceau d’indices était, selon la Cour, en effet propre à établir qu'un procès au fond est susceptible d'être engagé contre le Distributeur pour avoir favorisé ou tiré profit des agissements du Distributeur Contractant contraires à la clause de non-concurrence post-contractuelle l'obligeant envers le Fabricant.

À cet égard, selon la Cour, il ne saurait être reproché au Fabricant de ne pas rapporter la preuve des violations de la clause de non-concurrence que les mesures d'instruction sollicitées dans le cadre de l’instance ont précisément pour objet d'établir.

En outre, la Cour a rappelé qu’il importe peu que le Fabricant ait continué, après la résiliation du Contrat, de vendre au Distributeur des pièces détachées de sa marque, une telle pratique relevant du service après-vente et ne constituant pas une renonciation expresse non équivoque à la clause de non-concurrence prévue au Contrat.

 

Enfin, selon la Cour les mesures sollicitées tendent à la conservation ou à l'établissement des preuves nécessaires à la solution du litige, sont limitées à ces fins et ne portent pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel ou au secret des affaires, dès lors que celles-ci sont limitées aux faits de violation de la clause de non-concurrence en cause.

 

A rapprocher : Clause de non-concurrence post-contractuelle