Validité d’une clause d’approvisionnement exclusif : illustration de la suffisance de la contrepartie consentie
CA Paris, 15 mai 2025, n°22/00044
Ce qu'il faut retenir :
Un contrat assorti d’une clause d’exclusivité encourt la nullité lorsque la contrepartie consentie au distributeur s’avère dérisoire ou illusoire. À l’inverse, l’existence d’avantages réels et significatifs au bénéfice de ce dernier permet de justifier la validité d’un tel engagement. Dans l’arrêt du 15 mai 2025, la Cour d’appel de Paris confirme que la mise à disposition gratuite d’un stock initial, l’aménagement d’un espace d’exposition, un réassort facilité ainsi qu’un budget publicité constituent des éléments de contrepartie de nature à équilibrer l’obligation d’approvisionnement exclusif.
Pour approfondir :
En l’espèce, une société spécialisée dans la commercialisation de cercueils, capitons et autres produits funéraires a conclu le 26 février 2018 un contrat dit de «dépôt réassort» avec une entreprise de pompes funèbres (ci-après, le «Contrat»). Le Contrat imposait à cette dernière de s’approvisionner de manière exclusive auprès du fournisseur pour la vente de cercueils.
Moins d’un an plus tard, en janvier 2019, le fournisseur estimant que son cocontractant ne respectait pas ses engagements, l’a mis en demeure d’exécuter ses obligations. Le distributeur, quant à lui, s’est plaint de la qualité des prestations fournies et a exprimé sa volonté de mettre fin à la relation contractuelle. La mise en demeure du fournisseur étant restée sans effet, ce dernier a résilié le Contrat. Par suite d’une seconde mise en demeure également restée sans effet, le fournisseur a saisi le Tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir le paiement de factures impayées ainsi que des dommages et intérêts au titre des manquements allégués. Le tribunal a fait droit aux demandes du fournisseur. Le distributeur a interjeté appel de ce jugement.
Devant la Cour d’appel de Paris, le distributeur a notamment invoqué la nullité du Contrat, soutenant que la clause d’exclusivité qu’il comportait était dépourvue de toute contrepartie réelle. Selon lui, le Contrat lui imposait une exclusivité d’approvisionnement et de revente à un tarif fixé unilatéralement par le fournisseur et révisable chaque année, sans que des avantages sérieux n’aient été consentis en retour.
Le fournisseur s’est opposé à cette prétention, en invoquant les stipulations contractuelles censées établir l’existence d’une véritable contrepartie. Il a ainsi rappelé qu’au titre de l’article 1 du Contrat, un stock initial de marchandises était mis gratuitement à disposition du distributeur et que l’article 4 prévoyait l’octroi d’un budget de promotion publicitaire à hauteur de 12,5 % du montant total des achats effectués.
La Cour d’appel était donc invitée à apprécier si les engagements consentis par le fournisseur étaient suffisants pour constituer une contrepartie valable à l’obligation d’exclusivité pesant sur le distributeur.
L’analyse de la Cour d’appel débute par un rappel des principes applicables. En premier lieu, elle se réfère aux articles 1103, 1104 ainsi qu’à l’article 1169 du Code civil, ce dernier disposant qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». En second lieu, elle précise la nature des contrats d’approvisionnement exclusif, lesquels s’entendent comme des contrats par lesquels un distributeur s’engage à s’approvisionner exclusivement auprès d’un fournisseur ou d’une entreprise tierce chargée de distribuer ses produits, tandis que le fournisseur ou l’entreprise reste libre d’approvisionner d’autres distributeurs. Le distributeur n’accepte cette exclusivité qu’en contrepartie d’avantages consentis par le fournisseur, lequel s’engage notamment à lui fournir une assistance.
Appliquant ces principes au cas d’espèce, les juges du fond constatent que le distributeur bénéficiait, en contrepartie de son engagement, de la mise à disposition d’un stock initial de cercueils et d’une salle de présentation aménagée, sans avance financière, d’un réassort disponible sur simple commande ainsi que d’un budget publicitaire de nature à favoriser activement la commercialisation des produits. En présence de ces éléments, la Cour d’appel de Paris conclut que la contrepartie attachée à la clause d’exclusivité ne peut être regardée comme dérisoire. Le Contrat est donc jugé valable.
Cet arrêt illustre l’importance du contrôle de l’équilibre contractuel dans les contrats comportant une exclusivité d’approvisionnement. La validité d’une telle clause, et plus largement celle du contrat, repose sur l’existence d’une contrepartie effective et proportionnée, condition indispensable à la loyauté des engagements réciproques.
Il convient de préciser que cette contrepartie peut prendre la forme d’un soutien commercial, d’avantages financiers, ou de la mise à disposition gratuite de moyens nécessaires à l’exploitation de l’activité.
A rapprocher :
Un article rédigé par Claire SICARD du département Concurrence, Distribution, Consommation