Super privilège de l’AGS et transaction

Super privilège de l’AGS et transaction

Cass. Soc. 6 mars 2024 n° 22-19.471

 

 L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 mars 2024 vient compléter la précédente décision rendue par la chambre commerciale le 17 janvier 2024 (n°22-19.451). Rappelons que cette décision avait jugé que la subrogation de l’AGS, tirée des dispositions de l’article L 3243-16 du code du travail, a pour effet d’investir ces institutions de garantie de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, le super privilège garantissant le paiement de leurs créances, qui n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS, laquelle bénéficie, en application de l’article L. 625-8 du code de commerce, du droit à recevoir un paiement qui, opéré sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective et hors le classement des différentes créances sujettes à admission, ne constitue pas un paiement à titre provisionnel opéré sur le fondement de l’article L. 643-3, alinéa 1, de ce code et ne peut ainsi donner lieu à répétition.

 

Le présent arrêt passe un cap supplémentaire au détriment de l’entreprise en difficulté.

Assez classiquement, après l’ouverture de la procédure collective, un créancier fait valoir un droit de rétention portant sur des marchandises en vertu d’une créance impayée à l’ouverture.

Le mandataire judiciaire, contestant la légitimité du droit de rétention invoqué, forme un recours contre l’ordonnance du juge-commissaire qui autorisait le paiement de la créance afin de retirer les marchandises retenues, en application de l’article L. 622-7, II, alinéa 2, du code de commerce.

 

Cependant, l’administrateur pourvu d’une mission d’assistance a, sur sa requête, été autorisé, par une nouvelle ordonnance du juge-commissaire, à transiger en payant la créance précitée en deux échéances mensuelles afin de récupérer les marchandises retenues. A titre de motivation, le juge commissaire retient que la transaction est nécessaire pour permettre la poursuite de l’activité.

 

L’UNEDIC, délégation AGS CGEA, a formé un recours contre cette seconde ordonnance. La Cour d’appel de Grenoble par son arrêt en date du 5 mai 2022 (n°21/03857), déclare irrecevable le recours de l’AGS en sa qualité de contrôleur en retenant que les pouvoirs donnés au contrôleur par l’article L622-20 du code de commerce visent à pallier la défaillance du mandataire judiciaire qui s’abstient de toute démarche. Ils ne sont pas destinés à aller à l’encontre de la décision du mandataire judiciaire qui en l’espèce a donné un avis favorable à la requête. Elle en tire la conséquence que l’AGS, sur le fondement de l’article L 622-20 du code de commerce, n’a pas qualité pour former un recours contre l’ordonnance rendu par le juge commissaire sur un avis favorable du mandataire judiciaire.

 

La Cour d’appel analyse ensuite la possibilité d’un recours sur le fondement de l’article L 621-21 du code de commerce qui ouvre une telle possibilité à « toutes les personnes dont les droits et obligations sont affectés ». Sur ce fondement, la Cour d’appel, constatant la réalité de l’avance de créances à titre super privilégié, juge que les droits de l’AGS étaient affectés et infirme l’ordonnance.

 

Un pourvoi est formé par les organes de la procédure. La haute juridiction rejette les différents moyens qui lui étaient soumis en retenant que :

  • - Le moyen, qui postule que les avances versées pendant la période d’observation ne doivent pas compromettre le fonctionnement normal du débiteur, ni ses possibilités de redressement, ajoute à la loi et n’est donc pas fondé. A ce stade, la finalité de la procédure collective ne semble donc pas pouvoir être retenue comme fondement de la décision initiale.
  • - Il résulte de l’article 621-21 du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article R. 631-16, que le créancier qui entend former un recours contre une ordonnance du juge-commissaire au motif que ses droits et obligations sont affectés, doit invoquer un intérêt personnel distinct de l’intérêt collectif des créanciers que le mandataire judiciaire a seul qualité à défendre en vue de la protection et de la reconstitution de leur gage commun.

 

Reprenant alors la motivation de son arrêt rendu le 17 janvier 2024, la Haute juridiction retient que la subrogation dont bénéficie l’AGS ayant pour effet de l’investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le super privilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n’est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l’AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement devant être acquitté sur les premières rentrées de fonds.

 

Elle en conclu qu’ayant constaté que les avances de l’AGS avaient été versées, en partie au titre du super privilège des salaires, la cour d’appel en a exactement déduit que l’ordonnance du juge-commissaire, qui a autorisé l’administrateur et la société débitrice à transiger et à payer à une somme résultant d’une créance antérieure, a affecté les droits de l’UNEDIC.

Enfin, à titre accessoire, l’arrêt retient que l’administrateur ayant une mission d’assistance n’a pas qualité pour déposer, seul, une telle requête devant le juge-commissaire et que sa requête était par conséquent irrecevable.

 

Il convient également de noter que la décision rendue le 17 mars 2024 (n°22-19.451), ouvre, par ricochet, un droit de recours nouveau pour l’AGS contre une ordonnance du juge commissaire sur le fondement du recours subrogatoire dont elle dispose pour les créances super privilégiées (en ce sens L. FIN-LANGER Une conséquence inattendue du recours subrogatoire de l’AGS, Actualité des Procédures collectives n°7, 29 mars 2024).

 

Cette décision interpelle car si elle va dans le sens des intérêts bien compris de l’AGS, elle pose de véritables difficultés pour la pérennité de l’activité des entreprises en difficulté.

 

Elle résulte, tout comme l’arrêt du 17 janvier 2024 précité, d’une « interprétation libre » de la chambre commerciale et « d’une volonté de considérer l’AGS comme in, ensemble à vocation sociale dont il convient d’assurer la performance et, partant, la pérennité… » (Lettre de la Chambre commerciale-Mars 2024).

Nous sommes donc bien loin des objectifs de la Loi n° 2005-845 dite de « sauvegarde des entreprises ».

 

Reste cependant en suspens, la question de la concurrence et de la hiérarchisation entre le paiement d’une créance antérieure autorisé par le juge-commissaire dans l’intérêt collectif des créanciers et le droit au paiement du super privilège de l’AGS n’est pas tranché.

 

La Cour de cassation ne répond pas à cette question de fond qui est de savoir si, entre ces deux paiements, il faut faire primer l’intérêt collectif des créanciers et donc la poursuite de l’activité, ou le paiement du créancier superprivilégié.

 

Il serait donc urgent que le législateur intervienne pour clarifier les dispositions de l’article L 625-8 du code de commerce, qui ne sont que la reprise du décret du 8 août 1935, alors que la situation des entreprises en difficulté est bien différente de celles de la première moitié du siècle dernier.

 

Un article rédigé par Hubert de Fremont du département droit Social