Suisse/Union Européenne : La conclusion d’accords entre la Suisse et l’UE
Point au 7 janvier 2025
En bref :
Le 20 décembre 2024, après plus de dix ans d’âpres négociations, l’Union européenne (l’UE) et la Suisse ont conclu un paquet d’accords destinés à moderniser leurs relations bilatérales. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d’ailleurs qualifié l'accord d’« historique».
Initiées en 2014, les négociations en vue d’un unique accord-cadre avaient été abandonnées en 2021, principalement en raison de différends sur la libre circulation des personnes et la protection des salaires.
Les négociations ont été officiellement ouvertes par la présidente de la Confédération et la présidente de la Commission européenne le 18 mars 2024 à Bruxelles. Les équipes de négociation ont réussi à trouver des solutions équilibrées présentant des avantages pour la Suisse comme pour l’UE, s’appuyant cette fois-ci sur une approche sectorielle.
L'accord vise à simplifier et renforcer la coopération économique entre ces deux partenaires, donnant notamment à la Suisse un accès facilité au marché intérieur européen, dont celui de l'électricité.
Les objectifs définis dans le mandat de négociation avec l'UE ont été atteints dans chacun des 12 domaines concernés, notamment en matière d’agriculture, de migration, de transports, ou encore d’électricité.
Que vont changer ces accords ?
La Suisse, qui ne fait pas partie de l’UE, voit notamment son accès facilité au marché intérieur européen. Le paquet met à jour cinq accords existants (libre circulation des personnes, reconnaissance mutuelle des évaluations de conformité, transports terrestres, transport aérien et agriculture) et en crée trois nouveaux en matière d’électricité, de sécurité alimentaire et de santé. Ces accords seront régulièrement mis à jour.
Pour information, en 2022, le volume d’échanges de biens entre les deux parties s’élevait à plus de 300 milliards d’euros, soit 6% du total des échanges de biens des Vingt-Sept et près de 60% de l’ensemble des biens échangés par la Confédération helvétique avec l’extérieur.[1]
Une clause permettra à Berne de suspendre la libre circulation des personnes lorsque celle-ci entraîne de graves problèmes économiques ou sociaux. La Suisse pourra par ailleurs maintenir une immigration orientée vers les besoins de son économie.
La Suisse intègrera plusieurs programmes européens tels que : Horizon Europe (recherche), Erasmus+ (éducation) ou encore Digital Europe (numérique). Des dispositions transitoires devront permettre aux acteurs suisses d’y avoir accès, à partir du 1er janvier 2025.
En contrepartie, la Suisse s’engage à augmenter considérablement sa contribution au budget de l’Union européenne. Ainsi, le pays versera 140 millions d’euros par an dès la fin 2024, afin d’alimenter les programmes de cohésion européens. De 2030 à 2036, la Suisse participerait aux fonds de cohésion de l’UE par un versement annuel de 375 millions d’euros qui financerait des projets communs, notamment en matière migratoire.
Bref résumé dans certains domaines :
- En matière d'agriculture :
La Suisse exporte 50 % de ses produits agricoles vers l'UE et en importe 74 %. Les exceptions de l'accord agricole actuel, telles que l'interdiction du transit du bétail, sont maintenues, et de nouvelles exceptions ont été négociées concernant la protection des animaux et les organismes génétiquement modifiés. L'obligation d'indiquer le pays d'origine des produits alimentaires en Suisse demeure.
La Suisse et l'UE conservent leur autonomie en matière de politique agricole. Les mesures de protection douanière, y compris les droits de douane et les contingents tarifaires, sont maintenues. La Suisse aura accès à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et intégrera le système d'autorisation des produits phytosanitaires de l'UE
- En matière d'électricité :
L'accord sur l'électricité permet aux acteurs suisses, comme Swissgrid, de participer sur un pied d'égalité au marché intérieur européen de l'électricité, aux plateformes de négoce et aux autres instances européennes du secteur.
De plus, tous les consommateurs suisses pourront librement choisir leur fournisseur d'électricité.
En matière de sécurité d'approvisionnement, les États voisins ne pourront pas restreindre les capacités frontalières avec la Suisse, même en période de crise énergétique. L'accord prévoit une coopération dans le domaine des énergies renouvelables, sans que la Suisse soit obligée d’adopter le droit environnemental de l'UE.
- En matière de santé :
L'accord négocié assure à la Suisse un accès complet aux mécanismes de sécurité sanitaire de l'UE et au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Il renforce les outils de protection de la population suisse en améliorant la capacité d'alerte précoce et de réaction dans la surveillance épidémiologique.
L'accord est axé sur la sécurité sanitaire, avec une possibilité d'extension à d'autres domaines de la santé, si cela est dans l'intérêt des deux parties. Dans le cadre du programme pluriannuel de l'UE, la Suisse participera uniquement au domaine "préparation aux crises".
Période transitoire
Au cours de la période transitoire c’est-à-dire pendant la période allant de fin 2024 à l'entrée en vigueur du paquet, la Suisse et la Commission européenne ont défini les modalités de leur coopération.
Ces dernières ont ainsi convenu de collaborer afin de préserver la sécurité, le bon fonctionnement des réseaux électriques, mais également afin de prendre des mesures communes en vue de protéger les citoyens en cas de menaces sanitaires transfrontalières graves.
Dans les transports terrestres, elles ont aussi convenu de prolonger les mesures transitoires permettant à la Suisse de participer à l'Agence ferroviaire de l'UE au-delà de 2025.
Et après ?
Bien que la conclusion des négociations soit un pas important, le plus dur reste à faire.
Tout d’abord, les travaux entre la Suisse et l’UE se poursuivront sur les aspects juridiques et les traductions, en vue de finaliser les accords et de procéder à la conclusion formelle des négociations avec le paraphe du texte final par les deux négociateurs en chef.
L'accord doit maintenant être ratifié par l'UE et la Suisse.
Côté européen, une fois validé par le Conseil fédéral suisse, celui-ci devra être entériné au niveau européen par un vote du Conseil, puis du Parlement européen.
Côté suisse, il reste encore à convaincre le Parlement helvétique du bien-fondé de ce projet, et fidèle à sa tradition démocratique, après avoir été votés au Parlement, le texte devra également être approuvés par la population suisse par référendum (probablement plusieurs), ce qui prendra certainement plusieurs années. Certains cantons ruraux sont traditionnellement hostiles au rapprochement avec l’Union européenne, c’est notamment le cas en Suisse alémanique. Ainsi, l’adoption définitive, si elle a lieu, ne se ferait qu’en 2027 ou 2028. Cela pose également la question de savoir si des accords très techniques détaillés en 2024 feront encore sens trois ou quatre ans plus tard.
En définitive, l’issue de ce projet reste incertaine d’autant plus que les critiques ne manquent déjà pas.
La droite radicale, incarnée par l’Union démocratique du centre (UDC - qui a conforté son statut de premier parti de Suisse aux législatives de 2023), est vent debout contre cet accord, notamment au sujet de l’immigration. Il en va de même des syndicats, qui surveillent de près les questions relatives à la protection des salaires, au statut des travailleurs détachés, ainsi qu’aux services publics.
Pascal Sciarini (Professeur de science politique à l’Université de Genève) estime d’ailleurs que « Si l'UDC et les syndicats à la fois restent opposés à l'accord, il y a peu de chance que les textes soient votés ».
A rapprocher :
•« Le détail des mesures prévues dans les nouveaux accords Suisse-UE»
•« La Suisse et l’Union européenne saluent le résultat des négociation»
•« Suisse : Que va changer cet accord de rapprochement avec l’Union européenne ? »
•« Frontières, transport, santé… la Suisse se rapproche d'un accord avec l'Union européenne »
•« La Suisse et l’UE ont conclu leurs négociations pour de futurs accords bilatéraux »
•« Le Conseil fédéral prend connaissance de la fin matérielle des négociations entre la Suisse et l’UE »
•« L'accord commercial sur le marché unique entre l'UE et la Suisse fait l'objet d'un référendum difficile »
•«La Suisse reste profondément divisée au sujet des relations avec l’UE »
[1]https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/les-relations-entre-la-suisse-et-l-union-europeenne/
Un article rédigé par Cristelle Albaric, du département International