Soumission au contradictoire d’une pièce produite en cours de délibéré

Soumission au contradictoire d’une pièce produite en cours de délibéré

Cass, 2e civ, 23 mai 2024, n° 22-23.735

 

Ce qu’il faut retenir :

La Cour de cassation étend le principe fondamental du contradictoire énoncé à l’article 16 du Code de procédure civile à la production de pièces en cours de délibéré. Dans ces conditions, le juge est tenu « soit d'inviter les parties à formuler, dans un certain délai, leurs observations, soit d'ordonner la réouverture des débats » conformément à l’article 444 du Code de Procédure Civile.

 

Pour approfondir :

En l’espèce, le 20 janvier 2022, un demandeur a obtenu du juge des référés une ordonnance aux fins d’être autorisé notamment à procéder à la vente de gré à gré de biens immobiliers en qualité de mandataire pour le compte d’une société, sa mission prenant fin au 15 mai 2022 en vertu de ladite ordonnance.

 

Appel a été interjeté par la partie adverse devant la Cour d’appel de Paris.

 

En cours de délibéré, et à la demande de la Cour d’appel, le demandeur a produit une ordonnance du 11 mai 2022, rendue sur requête, prorogeant sa mission à compter du 15 mai 2022 et jusqu’au prononcé de l’ordonnance de référé à intervenir, afin de justifier de son pouvoir pour agir en qualité d’administrateur de la société.

 

C’est dans ce cadre qu’un pourvoi en cassation a été formé.

 

Par le présent arrêt, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, confirmant un revirement progressif dans sa jurisprudence en faveur du respect le plus absolu du contradictoire.

 

Au visa des articles 16, 442, 444 et 445 du Code de Procédure, la Haute Juridiction énonce que la cour d’appel qui sollicite la production d’une pièce en cours de délibéré est tenue soit d'inviter les parties à formuler, dans un certain délai, leurs observations, soit d'ordonner la réouverture des débats.

 

Il en résulte dès lors que le juge qui sollicite la production d’une pièce en cours de délibéré se doit de faire respecter le principe du contradictoire, prévu à l’article 16 du Code de Procédure Civile.

 

Par cette nouvelle décision, la Haute Cour vient préciser l’articulation des articles 444 et 445 du Code de Procédure Civil.

 

En effet, l’article 445 du Code de Procédure Civile prévoit qu’« après la clôture du débat, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 ».

 

L’article 444 du Code de procédure civile prévoit quant à lui que « Le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés ».

Le présent arrêt vient ainsi préciser que la production d’une pièce en cours de délibéré constitue un cas dans lequel les parties doivent « être à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit et de fait qui leur avaient été demandées » au sens de l’article 444 du Code de procédure civile, conformément à la dérogation prévue à l’article suivant.

 

Jusqu’à présent, la Cour de cassation considérait qu’en vertu de l’article 445 du Code de procédure civile, les juges n’étaient tenus que de la simple communication aux autres parties des notes produites en délibéré (Cass. Civ. 1re, 9 décembre 2009, n° 08-20.334).

 

Seule une décision récente et isolée en droit de la famille avait pris le contre-courant de cette position en considérant qu’en cours de délibéré « le juge aux affaires familiales ne peut fonder sa décision concernant l'autorité parentale sur les pièces du dossier d'assistance éducative communiquées à sa demande (…) que s'il les soumet au débat contradictoire » (Cass. Civ. 1re, 15 février 2023, 21-14.951).

 

La Cour de cassation a donc, par son arrêt du 23 mai 2024, confirmé son changement de position.

 

Cet arrêt de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvé en ce qu’il étend encore un peu plus le principe du contradictoire dans la procédure et renforce ainsi son principe.

 

À rapprocher : Articles 16, 442, 444 & 445 du Code de Procédure Civile ; Cass. Civ. 1re, 9 décembre 2009, n° 08-20.334 ; Cass. Civ. 1re, 15 février 2023, 21-14.951

 

Un article rédigé par Clémence Berne, du département Concurrence, Distribution, Consommation