Ce qu’il faut retenir :
Il est fréquent de stipuler dans les baux commerciaux qu’en cas de cession du bail par le preneur, ce dernier - en sa qualité de cédant - restera solidairement tenu envers le bailleur du paiement des loyers et de l’exécution des obligations issues du bail par le cessionnaire - nouveau locataire.
Pour approfondir :
Cette clause de garantie, dont l’existence et l’étendue relevaient traditionnellement de la seule volonté des parties, est désormais limitée quant à sa durée, à trois ans à compter de la cession du bail, en application de l’article L.145-16-2 du code de commerce, issu de la loi Pinel du 18 juin 2014, auquel la Cour de cassation a conféré un caractère d’ordre public.
En présence d’une telle clause, l’article L.145-16-1 du code de commerce impose au bailleur d’informer « le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée par celui-ci ».
Ce texte ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect de ses dispositions et ni le code de commerce, ni la Cour de cassation n’ont, pour l’instant, conféré à cet article un caractère d’ordre public.
Il serait donc loisible aux parties de prévoir des dérogations à cet article, en écartant son application, en aménageant ses modalités ou encore en prévoyant expressément une sanction spécifique en cas de manquement du bailleur à son obligation d’information du cédant. D’ailleurs, certaines clauses stipulent effectivement :
- soit que si le bailleur venait à ne pas respecter le délai d’un mois, le cédant ne pourrait pour autant pas s’en prévaloir pour échapper à sa garantie,
- soit qu’en cas de manquement du bailleur, le cédant ne pourra prétendre qu’à des dommages et intérêts dans la limite du préjudice effectivement subi du fait du défaut ou du retard d’information.
Mais dans le silence du texte et du contrat, quelle est la sanction applicable au manquement du bailleur à son obligation d’informer le cédant de tout défaut de paiement du cessionnaire ?
Il appartient dans ce cas aux juges du fond d’apprécier les conséquences du manquement du bailleur à son obligation d’information (CA Lyon, 8e ch., référé, 3 avr. 2018, n° 17/04807 ; CA Poitiers, 2ème ch. 29 juin 2021, n°20/02175) et de décider, par une appréciation souveraine échappant au contrôle de la Cour de cassation, la sanction applicable à la violation d’une disposition non-impérative du code de commerce (Cass. Civ 3e 23 janvier 1974 n°72-14299).
C’est ainsi que certains juges du fonds, le défaut de respect par le bailleur de son obligation d’information n’est pas susceptible de faire perdre à celui-ci le bénéfice de la garantie solidaire du cédant, cette sanction n’étant prévue par aucun texte (CA Poitiers précité). Dans cette hypothèse, le bailleur ne s’expose qu’à l’allocation de dommages et intérêts en fonction du préjudice subi par le cédant débiteur de la garantie. Et il a été jugé qu’aucun préjudice n’est établi par le cédant lorsque ce dernier ne démontre pas comment, informé plus tôt, il aurait pu échapper à une condamnation solidaire de la totalité des loyers impayés ou être condamnée à une somme moindre (CA Versailles, 13e ch., 18 juin 2019, n° 18/01325) ou lorsqu’il ne démontre pas avoir perdu une chance de réduire la dette en intervenant auprès de son cessionnaire en temps utile (CA Metz 1ère ch., 3 septembre 2020, n°18/03011).
Pour d’autres juridictions, au contraire, la sanction consiste en la perte, totale ou partielle, par le bailleur de son recours en paiement (CA Aix-en-Provence, ch. 1-8, 10 juin 2021, n° 18/12850), notamment lorsque le cédant est en mesure d’établir une négligence du bailleur dans le recouvrement de sa créance provoquant un accroissement anormal de la dette (CA Douai, ch. 2 sect. 2, 18 janv. 2018, n° 17/01824 ; CA Metz 1ère ch., 3 septembre 2020, n°18/03011 ; CA Douai, ch. 2 sect. 1, 12 oct. 2017, n° 16/04222 - avant Pinel).
Dans le silence du contrat, la diligence du bailleur dans le recouvrement de sa créance et son action dans des délais raisonnables semblent donc influencer le choix par les juges du fonds de la sanction à appliquer en cas de manquement du bailleur à son obligation d’informer le garant cédant dans le délai d’un mois de la défaillance du locataire cessionnaire. Mais l’appréciation qui peut être faite de ce critère n’a rien d’objectif, de sorte qu’il n’offre aucune sécurité juridique a priori au bailleur.
Afin d’éviter l’aléa judiciaire, on ne peut donc qu’encourager les parties et en particulier le bailleur à prévoir dans la clause de garantie solidaire en cas de cession, la sanction du manquement à l’obligation d’information du cédant issue de l’article L.145-16-1 (en excluant la faculté du cédant de s’en prévaloir pour échapper à sa garantie) et à conserver, en cas de défaillance du locataire-cessionnaire, la preuve des diligences accomplies afin de recouvrer sa créance.
À rapprocher :
CA Lyon, 8e ch., référé, 3 avr. 2018, n° 17/04807
CA Poitiers, 2ème ch. 29 juin 2021, n°20/02175
Cass. Civ 3e 23 janvier 1974 n°72-14299
CA Versailles, 13e ch., 18 juin 2019, n° 18/01325
CA Metz 1ère ch., 3 septembre 2020, n°18/03011
CA Aix-en-Provence, ch. 1-8, 10 juin 2021, n° 18/12850
CA Douai, ch. 2 sect. 2, 18 janv. 2018, n° 17/01824