Revirement : Régularisation possible d’un appel formé devant une cour territorialement incompétente

Revirement : Régularisation possible d’un appel formé devant une cour territorialement incompétente

Cass. civ. 2ème, 05 octobre 2023, n°21-21.007

Ce qu’il faut retenir :

Conformément à l'article 2241 du Code civil, toute demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. La Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence notable, juge désormais que cette règle s’applique pleinement lorsqu'elle est portée devant une cour d’appel incompétente territorialement, dès lors qu’aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue.

 

Pour approfondir :

En l’espèce, le 7 septembre 2018, un jugement a été rendu par le Conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt puis notifié le 22 octobre 2018 (faisant courir, à compter de cette dernière date, le délai d’appel).

Le 20 novembre 2018, un premier appel a été interjeté devant la cour d’appel de Paris, territorialement incompétente.

Par la suite, un second appel a été régularisé, cette fois-ci devant la Cour d’appel de Versailles territorialement compétente, mais le 18 décembre 2018, soit en dehors du délai initial d’appel (en effet, pour rappel, conformément aux articles 528 et 538 du Code de procédure civile, le délai d’appel étant d’un mois à compter de la notification du jugement, celui-ci expirait, en l’espèce, le 23 novembre 2018).

Néanmoins, au cours de ce laps de temps, aucune décision d’irrecevabilité n’avait été rendue au moment où ce second appel avait été régularisé.

En effet, ce n’est que le 11 octobre 2019 – soit postérieurement – que la Cour d’appel de Paris rendît une décision d’irrecevabilité pour motif d’incompétence territoriale.

Quant à la Cour d’appel de Versailles, celle-ci rendît dans la foulée une décision d’irrecevabilité pour motif de tardiveté de l’appel.

C’est dans ce cadre qu’un pourvoi en cassation a ainsi été formé.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation annule l’arrêt d’appel, opérant à cette occasion un revirement notable de sa jurisprudence antérieure.

Au visa des articles 2241 du Code civil et 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), la Haute juridiction affirme en effet qu’il est désormais possible de régulariser la saisine d’une juridiction incompétente dès lors qu’au jour où cette régularisation intervient, aucune décision définitive d’irrecevabilité n’est intervenue.

Il en résulte que, désormais, l’irrecevabilité de la première déclaration d’appel pour motif d’incompétence n’emporte pas celle de la seconde déclaration d’appel pour motif de tardiveté, dès lors qu’elle est régularisée dans le délai d’appel qui a été interrompu.

Tel n’était pas la position antérieure de la Cour de cassation laquelle se montrait bien plus sévère concernant le délai dans lequel l’appel pouvait être régularisé, puisqu’elle jugeait que la régularisation devait être effectuée dans le délai d’appel initial, soit un mois (Cass. civ. 2ème, 18 mars 2021, n° 20-14.466).

Elle considérait ainsi que dès lors qu’une cour d’appel territorialement incompétente était saisie, sa décision d’irrecevabilité avait pour conséquence de supprimer rétroactivement l’interruption du délai de forclusion opérée par la déclaration d’appel, de sorte que le second appel qui était réalisé hors délai d’appel initial était considéré comme tardif (Cass. civ. 2ème, 21 mars 2019, n° 17-10.663 ; Cass. civ. 27 juin 2019, n°18-11.471).

Ainsi, sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, la régularisation du premier appel était en d’autres termes possible uniquement si elle était réalisée dans le délai d’appel initial d’un mois. Elle avait donc pour inévitable conséquence de priver l’article 2241 du Code civil de son plein effet dans l’hypothèse d’une déclaration d’appel régularisée devant une cour d’appel incompétente.

La nouvelle position adoptée par la Cour de cassation dans le présent arrêt ne peut ainsi qu’être approuvée.

 

À rapprocher :

 

Un article rédigé par Marianne Domingues et Julie Ricau du département Contrats, affaires complexes