Reporting extra-financier : Point sur la Directive Corporate Sustainability Reporting (« CSRD ») après le test PME mené en avril 2024
(point d’étape au 17-06-2024)
Ce qu’il faut retenir :
La directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (dite « CSRD ») n° 2022/2464 du 14 décembre 2022, (relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises) fixe de nouvelles normes et obligations de reporting extra-financier.
Cette directive a été transposée en France le 6 décembre 2023.
En France, l’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures est progressive :
- - Premier reporting en 2025, sur l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2024, pour les entreprises remplissant deux des trois critères suivants : (i) plus de 500 salariés, (ii) plus de 50 M€ de chiffres d'affaires, (iii) plus de 25 M€ de total de bilan ;
- - Premier reporting en 2026, sur les données 2025, pour toutes les autres grandes entreprises, basées en Union Européenne ou cotées sur un marché réglementé européen, et remplissant deux des trois critères suivants : (i) plus de 250 salariés, (ii) plus de 50 M€ de chiffres d'affaires, (iii) plus de 25 M€ de total de bilan ;
- - Premier reporting en 2027, sur les données 2026, pour les PME cotées sur un marché réglementé de l’Union, à l’exception des micro-entreprises.
Les PME pourront toutefois décaler de deux ans la première application de leurs obligations de reporting.
- - Premier reporting en 2028, sur les données 2027, pour les grandes entreprises non européennes et certaines sociétés non européennes ayant un chiffre d’affaires européen supérieur à 150 M€ et une filiale ou succursale basée dans l’Union.
La directive européenne CSRD s’appliquent donc progressivement depuis le 1er janvier 2024.
Les entreprises soumises à cette directive devront publier leurs informations de durabilité selon un principe dit de « double matérialité » :
- - D’une part, les impacts qu'elle occasionne et,
- - D’autre part, ceux qu'elle subit.
Ce reporting de durabilité devra être publié dans une section dédiée du rapport de gestion annuel des entreprises inclus dans le rapport financier annuel. La périodicité des informations relatives aux enjeux de durabilité est donc celle du rapport de gestion, soit annuellement, à la fin de l’exercice comptable et à communiquer aux associés avant l’Assemblée Générale.
Pour approfondir :
La CSRD est une révision de la Non-Financial Reporting Directive du 22 octobre 2014[1] ayant donné naissance, en France, à la Déclaration de Performance Extra-Financière (2017). Cette révision a pour objectif de renforcer et de standardiser les exigences en matière d’informations Environnement, Social et Gouvernance (« ESG ») ainsi que d’élargir le périmètre des sociétés concernées.
LA CSRD cherche ainsi à améliorer la disponibilité et la qualité des données ESG via la publication, par les entreprises, d’un rapport comprenant des informations détaillées sur les incidences, risques et opportunités matériels de ces dernières en lien avec la durabilité. La CRSD va ainsi donner aux consommateurs et aux investisseurs, désormais mieux informés de l’impact des entreprises sur l’environnement, les droits de l’homme… une meilleure transparence. La CSRD vise également à rendre les entreprises plus résilientes face au changement climatique.
Autrement dit, la CSRD permet aux investisseurs d’orienter leurs capitaux vers des investissements durables, d’intégrer la durabilité dans la gestion des risques et de favoriser la transparence sur le long terme.
Selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique : « Avec ce texte, l’Europe se positionne en tête de la course internationale aux standards, en établissant des normes élevées en ligne avec nos ambitions environnementales et sociales. ».
La directive CSRD doit désormais être transposée par chaque Etat membre avant le 6 juillet 2024. Néanmoins, au 04 juin 2024, seuls 5 Etats membres de l’Union Européenne ont transposé cette directive (France, Hongrie, Roumanie, Finlande et République Tchèque).[2]
La France est le premier pays européen à avoir transposé la CSRD par l’ordonnance n°2023-1142 du 6 décembre 2023 « relative à la publication et à la certification d’informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d’entreprise des sociétés commerciales », précisée par le décret n° 2023-1394 du 30 décembre 2023.
En France, la CSRD est applicable depuis le 1er janvier 2024.
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- Les apports majeurs de la CSRD
1. Elargissement du champ d’application
A l’échelle européenne, plus de 50 000 entreprises seront soumises à la CSRD (dont 7 000 en France d’ici 2028).
A titre de comparaison, seules 11 700 entreprises entraient dans le champ d’application de la précédente directive de 2014.
A noter : les filiales pourront être exemptées de leurs obligations de reporting CSRD (ou « rapport du durabilité ») dès lors que leur société mère intègre, dans son propre rapport de durabilité, leurs données de durabilité. Ce rapport devra alors expliciter les spécificités éventuelles des risques ou incidences relatifs aux filiales dispensées. Des informations minimales devront toutefois être fournies par la filiale exemptée : déclaration d’exemption, renvoi vers le rapport consolidé...
En revanche, les filiales qui sont elles-mêmes de grandes entreprises cotées ne pourront bénéficier de cette exemption et devront donc publier, en sus du rapport de durabilité publié par leur société mère, leur propre rapport de durabilité.
2. Renforcement et standardisation des obligations de reporting
La Commission européenne a mandaté le Groupe consultatif européen sur l’information financière (« l’EFRAG »), pour la préparation de normes dites ESRS (European Sustainability Reporting Standards).
Ces normes européennes vont permettre d’encadrer et d’harmoniser les informations à renseigner par les entreprises. L'objectif est d'adopter un langage européen unifié relatif aux informations de durabilité, permettant également une meilleure comparaison de la performance globale des entreprises.
Ces standards sont progressivement adoptés, par voie d’actes délégués, par la Commission européenne :
- - Normes ESRS tout secteur (normes universelles) :
- - Normes transversales
- - Exigences générales: architecture, principes et concepts généraux des normes ESRS (caractéristiques de l’information, double matérialité, structure des informations de durabilité, chaîne de valeur...)
- - Informations générales à publier : informations que les entreprises devront présenter en lien avec les sujets matériels de durabilité.
- - Normes transversales
Ces informations couvrent quatre domaines : (i) la gouvernance, (ii) la stratégie, (iii) le processus d’identification et de gestion des impacts, risques et opportunités, ainsi que (iv) les indicateurs et objectifs liés.
- - Normes thématiques: informations spécifiques à fournir sur les impacts, risques et opportunités matériels, en complément des informations générales et en suivant la même structure en quatre domaines.
- - Normes Environnementales:
- - Changement climatique
- - Pollution
- - Eau et ressources marines
- - Biodiversité et écosystèmes
- - Utilisation des ressources et économie circulaire
- - Normes Environnementales:
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- - Normes Sociales:
- - Personnel de l’entreprise
- - Travailleurs de la chaine de valeur
- - Communautés affectées
- - Consommateurs et utilisateurs finaux
- - Normes Sociales:
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- - Norme sur la Gouvernance:
- - Conduite des affaires
- - Norme sur la Gouvernance:
- - Normes ESRS sectorielles: informations obligatoires, spécifiques à chaque secteur. L’entreprise sera tenue de publier des informations sur l’ensemble des secteurs significatifs (représentants plus de 10% de son Chiffre d’Affaires)
- - Normes ESRS spécifiques à l’entité: chaque entreprise a la possibilité d’ajouter des indicateurs qui lui sont propres.
Par ailleurs, l’EFRAG a lancé le 22 janvier 2024 une consultation publique, ouverte jusqu’au 21 mai 2024, ouvertes aux PME, sur :
- - Le projet de normes ESRS applicables aux PME cotées ;
- - Le projet de normes de reporting volontaire applicables aux PME non cotées.
Pas de retour à ce stade sur l’issue de cette consultation.
En parallèle, et afin de faciliter la mise en application des ESRS par les entreprises, l’EFRAG a publié 3 projets de guides pédagogiques :
- - Guide sur l’analyse de matérialité: suggestion des étapes à suivre pour réaliser cette analyse ;
- - Guide sur le traitement de la chaine de valeur: analyse de matérialité, gestion des impacts, risques et opportunités, indicateurs et objectifs à mettre en place ;
- - Guide recensant les points de données ESRS détaillés sous forme de classeur Microsoft Excel accompagné d'une note explicative.
Enfin, l’EFRAG a mis en place une plateforme afin de recueillir et de répondre aux questions des parties prenantes sur les normes ESRS[3].
3. Méthodologie
En application des normes ESRS, les entreprises sont tenues de publier les informations de durabilité selon un principe dit de « double matérialité » (ou « double importance »). L’entreprise doit donc analyser,
- - D’une part, les impacts qu'elle occasionne et,
- - D’autre part, ceux qu'elle subit.
L'empreinte carbone de l'entreprise fait ainsi partie du premier volet, appelé « matérialité d'impact », tandis qu'un éventuel besoin de mise en conformité de son outil industriel à de nouvelles norme environnementales relève du deuxième volet, la « matérialité financière », puisque cela a un impact sur ses coûts et, par conséquent, sur sa performance financière.
L'analyse de matérialité déterminera donc sur quels indicateurs ESG l'entité devra communiquer. L’entreprise doit s’interroger sur l’impact de chacun des sujets ESG sur sa performance économique ainsi que sur ses parties prenantes.
Alan Fustec, président fondateur du cabinet Goodwill-management explique ainsi : « Toute la complexité repose sur l'identification des thématiques où vous avez un impact. La réalisation de cette matrice de double matérialité a pour objectif de réduire le nombre des indicateurs à publier, car la règlementation en compte 1 200. Une entreprise va publier les indicateurs uniquement pour les sujets qui sont matériels, significatifs ». Autrement dit, si l'entreprise considère qu'un sujet n'est pas matériel, elle n'aura pas à communiquer d'informations sur ce dernier.
Selon les premières évaluations, une société devra reporter entre 300 à 500 items en fonction de son secteur et de sa taille. Des informations sur la nature des enjeux, les plans d'action, les objectifs, mais aussi les méthodologies qui ont permis de déterminer ces éléments devront être reportées. Un travail qui s’annonce colossal pour les entreprises.
La CSRD nécessitant la gestion d’un volume important de données, une autre difficulté porte sur le choix des outils : « Certaines entreprises n'ont jamais réuni les données ESG de base comme un bilan carbone. Le défi est d'aller chercher la donnée, la collecter, de créer les canaux de communication en interne et avec les fournisseurs, de les tracer et les stocker. Les entreprises vont devoir forcément dégager un budget, qui peut aller de 20.000 pour les structures très matures à 100.000 euros. » (Matthieu Deville Cavellin, conseil en stratégie opérationnelle - Associé au sein du cabinet Argon & Co).
A ce sujet, Catherine Saire, associée sustainability au sein de Deloitte France a indiqué : « Le processus de collecte des données sera optimisé si chaque service le comprend et y participe. Il est par ailleurs impératif de s'atteler rapidement à la cartographie des différents systèmes d'information existants (ERP, comptable, achat), d'identifier les systèmes manquants afin de construire un dispositif de reporting robuste, efficace, et de mettre en place les bons systèmes d'information. ». Madame Saire a également souligné la création, par certaines entreprises, comme Bel, Danone, Kering, L'Oréal, Orange, Schneider Electric ou Veolia, de postes de direction de finance durable ou direction impact. Il s’agit de profils expérimentés, souvent issus de promotions internes, n'ayant pas nécessairement d'expérience en finance ou en durabilité, mais capables de connecter les différentes personnes et services. L’associée sustainability considère également que ce rôle pourrait être assuré par un commissaire aux comptes : « Nous nous dirigeons vers une corrélation des informations financières et de durabilité. Le commissaire aux comptes est assez naturellement à même d'évaluer la performance environnementale, sociale et financière d'une société. Les entreprises ont donc tendance à retenir un ou deux de leurs commissaires aux comptes pour revoir et valider les informations, s'assurer de la fiabilisation des processus de reporting et de dispositifs de contrôle interne, veiller à la correcte digitalisation des informations, avec des enjeux en termes de coûts et de ressources allouées. »
4. Localisation unique & fréquence de publication
- - Le reporting de durabilité devra être publié dans une section dédiée du rapport de gestion annuel des entreprises inclus dans le rapport financier annuel.
- - La périodicité des informations relatives aux enjeux de durabilité est donc celle du rapport de gestion, soit annuellement, à la fin de l’exercice comptable et à communiquer aux associés avant l’Assemblée Générale.
- - De même, les destinataires du rapport de durabilité sont identiques à ceux du rapport de gestion : parties prenantes internes et externes de l'entreprise et Greffe du tribunal de commerce.
5. Format digital imposé
Une version numérique, publiée au format électronique unique européen xHTML, sera exigée avec un balisage au moyen de « tags », définis dans une nouvelle taxonomie digitale, insérés dans le rapport de gestion.
Cette publication imposée s’inscrit dans le cadre du projet ESAP qui prévoit de centraliser les informations financières et de durabilité publiées par les entreprises.
6. Certification des informations
Les informations communiquées par les entreprises devront obligatoirement être vérifiées par, selon les Etats, un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant (OTI).
La France a fait le choix de permettre aux CAC et aux OTI accrédités par le comité français d’accréditation (COFRAC) d’effectuer la vérification des informations de durabilité.
Dans un premier temps, un niveau d’assurance « modérée » sera requis pour la vérification des informations. Un passage au niveau d’assurance « raisonnable » pourrait être requis à compter de fin 2028.
Dans les grandes entreprises cotées (remplissant les critères – voir ci-après), qui devront publier leur rapport CSRD dès 2025, la nomination du futur certificateur des informations en matière de durabilité doit donc faire l'objet d'une résolution soumise cette année à l'assemblée générale des actionnaires.
Par ailleurs, le suivi des questions relatives à l’élaboration et au contrôle des informations en matière de durabilité doit être assuré par un comité spécialisé agissant sous la responsabilité du conseil d’administration (article L.821-67 du code de commerce).
Ce comité est notamment chargé de :
- - Suivre l'efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques, ainsi que le cas échéant de l'audit interne, en ce qui concerne les procédures relatives à l'élaboration et au traitement de l'information en matière de durabilité, y compris sous forme numérique ;
- - Émettre une recommandation sur les commissaires aux comptes (ou OTI) proposés à la désignation par l'assemblée générale ou l'organe exerçant une fonction analogue ;
- - Suivre la réalisation des missions du commissaire aux comptes (ou OTI) et de certification des informations en matière de durabilité ;
- - S’assurer du respect des conditions d'indépendance requises des intervenants exerçant des missions de certification des comptes et de certification des informations en matière de durabilité.
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- Une entrée en vigueur progressive
L’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures de reporting extra-financier est progressive :
- - A partir du 1er janvier 2024 (premier reporting en 2025 sur l’exercice ouvert à compter du 1er janvier 2024) : Grandes entreprises déjà soumises à la directive de 2014. Il s’agit d’entreprises remplissant deux des trois critères suivants : (i) plus de 500 salariés, (ii) plus de 50 millions d’euros de chiffres d'affaires, (iii) plus de 25 millions d’euros de total de bilan ;
- - A partir du 1er janvier 2025(premier reporting en 2026, sur les données 2025) : toutes les autres grandes entreprises, basées en Union Européenne ou cotées sur un marché réglementé européen, et remplissant deux des trois critères suivants : (i) plus de 250 salariés, (ii) plus de 50 millions d’euros de chiffres d'affaires, (iii) plus de 25 millions d’euros de total de bilan ;
- - A partir du 1er janvier 2026(premier reporting en 2027, sur les données 2026) : PME cotées sur un marché réglementé de l’Union, à l’exception des micro-entreprises.
Les PME peuvent toutefois décaler de deux ans la première application de leurs obligations de reporting.
- - A partir du 1er janvier 2027 (premier reporting en 2028, sur les données 2027) : grandes entreprises non européennes et certaines sociétés non européennes ayant un chiffre d’affaires européen supérieur à 150 millions d’euros et une filiale ou succursale basée dans l’Union.
La directive européenne CSRD et les normes européennes ESRS s’appliquent donc progressivement depuis le 1er janvier 2024.
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- L’élargissement des sanctions
La transposition française de la CSRD a étendu les sanctions prévues pour assurer l’effectivité du contrôle du rapport financier au rapport de durabilité.
Sont ainsi sanctionnés :
- - De 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende la non-désignation d’un CAC ou d’un OTI pour la vérification du rapport ;
- - De 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de faire obstacle au contrôle du CAC ou de l’OTI.
De plus, le rapport de durabilité étant intégré au rapport de gestion, les sanctions applicables au rapport de gestion lui sont applicables, en particulier :
- - Le non-établissement du rapport est sanctionné d’une amende de 9 000 euros ;
- - La non-approbation du rapport est également sanctionnée d’une amende de 9 000 euros, à laquelle peut s’ajouter, selon les formes juridiques de la société, une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 6 mois.
Par ailleurs, en cas de défaut de publication du rapport, toute personne peut demander au Président du tribunal statuant en référé :
- - D'enjoindre, sous astreinte, à la personne ou à l'organe compétent la communication des informations ;
- - De désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication.
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- Des améliorations encore attendues
Selon la délégation sénatoriale aux Entreprises, trois axes de simplification doivent être envisagées :[4]
- - Geler le périmètre des informations de durabilité jusqu’à l’application totale de la directive, soit jusqu’en 2028.
Le contenu de la déclaration de performance extra-financière a, en effet, été modifié 21 fois en 21 ans.
- - Traduire les éléments clés de la CSRD et des normes d’application ESRS en un langage clair, accessible et compréhensible par tous les dirigeants d’entreprises, diffusé à travers les réseaux consulaires et par les organisations représentatives patronales.
- - Inciter les entreprises à placer les questions ESG au cœur des débats des comités exécutifs, le rapport de durabilité permettant d’identifier les enjeux de durabilité significatifs et stratégiques de l’entreprise.
La délégation sénatoriale aux Entreprises recommande également de :
- - Accélérer et amplifier la formation des parties prenantes à la directive CSRD, notamment en renforçant la formation initiale des experts-comptables ;
- - Obliger la commande publique à intégrer davantage la CSRD dans les critères de choix ;
- - Évaluer l’impact de l’application de la CSRD en 2028 avec un bilan d’étape, et fin 2024 sur les coûts de mise œuvre pour les entreprises.
La Commission européenne devrait publier, au plus tard le 30 avril 2029, puis tous les trois ans, un rapport comprenant une évaluation de l’impact de la mise en œuvre de la CSRD et, s’il y a lieu, des propositions législatives.
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- Un reporting encore inadapté aux PME
Dans le cadre d'une consultation publique lancée auprès des pays membres par l’EFRAG sur la directive CSRD, onze PME françaises ont testé, en avril 2024, une version allégée de la norme européenne, dite « norme volontaire ». En effet, bien que les PME ne soient pas soumises à cette réglementation, elles risquent d’en être impactées. Sabrina Dupin, directrice projets chez Calix Conseils, affirme ainsi : « Il est évident que tous les fournisseurs et sous-traitants vont se retrouver confrontées à cette obligation qui incombe à leurs donneurs d'ordre ».
Pour s'adapter à leur taille, le questionnaire qui a été soumis aux PME compte 71 questions (sourcing des matières premières, engagements sociaux et environnementaux…), contre près de 1 000 pour les grands groupes et 200 pour les PME cotées. Sur le papier, le dispositif se veut donc plus simple. Pourtant, les retours des dirigeants lors de la réunion de restitution, qui a eu lieu fin avril 2024 à Bercy, étaient plutôt négatifs : trop complexe, langage opaque, demandes peu concrètes pour des entreprises de taille moyenne… Six indicateurs sur les 71 du questionnaire (soit 8 %) ont ainsi été jugés difficiles. De manière plus globale, c’est environ un tiers des éléments demandés qui pose problème.
La partie d'analyse de la chaîne de valeur, nécessitant de mesurer les impacts sur les fournisseurs a ainsi été jugée quasi irréalisable.
Sophie Dartois, responsable RSE de La Phocéenne de Cosmétique (connue pour la marque Le Petit Olivier), une des PME participantes a ainsi rapporté : « Sur certains points, l'accès à la donnée est complexe, demande du temps et de l'investissement », d’autant plus que « Pour une entreprise comme la nôtre, qui conçoit et commercialise les produits, mais qui sous-traite la fabrication, certaines questions demandent que l'on remonte jusqu'aux champs ».
Pierre Daniel, dirigeant de la cave coopérative viticole Les Hauts de Montrouge partage cet avis : « Cela suppose que j'analyse les données de mes 53 vignerons adhérents sur les 1.250 hectares de vigne. Là, le millefeuille commence à être indigeste », et par conséquent « Nous devrons forcément faire appel à des prestataires, comme des cabinets conseils. ». Sophie Dartois a ainsi souligné : « Nous avons commencé à travailler sur la collecte de données nécessaires. C'est fastidieux. Il faut que cela bénéficie concrètement à notre activité, pas à nourrir des cabinets de conseil ». Philippe d’Ornano, patron de l’ETI Sisley, s’inquiète également des coûts de ce reporting : « Le bloc des indicateurs est énorme. Cela me coûtera entre 200 et 250 000 euros, puis 100 000 euros par an pour le suivi ».
Vincent Frambourt, commissaire aux comptes chez Grant Thornton tempère néanmoins ces craintes : « Ce n’est pas insurmontable. Sur le millier d’indicateurs listé dans le questionnaire, on en retient en général entre 400 et 500 de prioritaires pour une ETI ». Ce travail de « tamis » nécessiterait tout de même entre 6 à 9 mois d’accompagnement par un cabinet de conseil.
Monsieur Frambourt estime ainsi que la part de la CSRD dans l’activité du Cabinet Grant Thornton devrait doubler d’ici 4 ans pour atteindre les 20%.
Certains dirigeants ont, par ailleurs, été désorientés par la forme : « La formulation des questions est faite dans un jargon européen hyper techno, parfois incompréhensible. On nous parle de « diligence raisonnable », de « double matérialité » et la moitié des questions est qualitative ; c'est très subjectif », (Christian Marquis, dirigeant du spécialiste de la charpente Combles de France).
Les dirigeants des onze PME ont également demandé que les indicateurs soient standardisés : « Les banques, la Banque de France, les donneurs d'ordre, ont leur propre questionnaire sur la durabilité, il faut au moins que ce rapport extra-financier serve pour tous » (Christian Marquis).
Enfin, le président fondateur de La Phocéenne, a suggéré : « Inscrire au bilan ces éléments extra-financiers pour leur donner une valeur comptable et valoriser ainsi le coût du bien-faire nous aiderait dans les négociations. Si la CSRD permet cela, nous serons attentifs au reporting ».
Les retours des dirigeants des 11 PME ont été communiqués à la Commission européenne le 21 mai 2024.
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- La CSRD : le rôle de l’avocat
La publication et l’audit d’information en matière de durabilité ouvrent aux avocats un nouveau marché et une nouvelle mission.
- - S’agissant de la publication d’informations, ce marché est ouvert aux avocats dans le cadre de leur traditionnelle mission de conseil et d'accompagnement. La seule exigence est que l'avocat ne peut cumuler, pour une même entreprise, la mission de conseil dans la publication des informations en matière de durabilité et celle d'auditeur de ces informations.
Bien que la mission de l'avocat demeure l'activité professionnelle de conseil, la publication des informations relatives à la durabilité est soumise à des règles et à une méthodologie très spécifiques dont l'acquisition suppose une formation continue.
- - S’agissant de l’audit de ces informations, deux acteurs sont, en France, autorisés à intervenir : les commissaires aux comptes, et les auditeurs exerçant au sein d'OTI, dont les avocats.
Dans l’exercice de la mission particulière d’audit, les avocats sont soumis à la Haute Autorité de l’Audit (H2A). L’avocat-auditeur, soumis au statut particulier d’auditeur est, par ailleurs, soumis au Code de déontologie des CAC. Enfin, dans le cadre de la « clause du grand-père », l’avocat, déjà accrédité par le COFRAC comme OTI, n’est pas tenu de l’obligation de stage de 8 mois et de l’obligation de diplôme de durabilité. Il devra néanmoins suivre une formation de 90 heures validée par le H2A.
Pour aller plus loin :
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32014L0095
[2] * https://www.pwc.com/gx/en/services/tax/tax-esg/pwc-eu-member-state-transposition-of-csrd.pdf
* https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/NIM/?uri=CELEX:32022L2464
[3] https://survey.alchemer.eu/s3/90634629/EFRAG-ESRS-Q-A-platform
[4] https://www.senat.fr/rap/r23-327/r23-327-syn.pdf
Un article rédigé par Cristelle Albaric, du département International