Rejet de la fixation judiciaire du prix de vente

Rejet de la fixation judiciaire du prix de vente

Cass. Com., 4 juin 2025, n°24-11.580, F-B

 

Ce qu'il faut retenir :

Le prix de cession d’un fonds de commerce doit être fixé par les parties ou par un tiers.

Le juge ne peut procéder à la fixation du prix de vente.

 

Pour approfondir :

En 2015, deux officines ont conclu une promesse de cession portant sur un fonds de commerce de pharmacie.

Aux termes de cette promesse, le prix de cession devait être fixé à hauteur de 80 % du chiffre d’affaires réalisé au cours des douze mois d’exploitation antérieurs à l’avant-dernier mois précédant la cession.

De ce prix de cession devaient être retranchés divers éléments dont les ventes de marchandises « hors comptoir » et la location de matériel médical.

En cas de désaccord des parties sur la fixation du prix définitif, la promesse prévoyait le recours à un tiers évaluateur.

À défaut d'accord des parties sur l'identité de ce dernier, ou en cas de carence dans les six mois suivant sa désignation, la promesse prévoyait que le tiers évaluateur serait désigné par le Président du Tribunal de commerce de Niort.

En 2016, les parties ont régularisé l’acte de cession définitif, lequel mentionnait un prix provisoire en l’absence de clôture des comptes de l’année 2015.

Une fois ces comptes disponibles, les parties ne sont pas parvenues à s’accorder sur le prix de cession définitif.

Conformément aux stipulations de l’acte de cession, un tiers évaluateur désigné par les parties a proposé de fixer le prix définitif de cession à la somme de 1.297.347 euros.

Cette évaluation n’a toutefois pas permis de mettre un terme au différend.

Le cédant a alors saisi le Tribunal de commerce de Niort afin de solliciter, à titre principal, la fixation définitive du prix et le versement du solde lui restant dû et, à titre subsidiaire, une expertise judiciaire pour fixer le prix définitif en appliquant le mécanisme de calcul prévu par l’acte de cession.

Par une décision du 12 décembre 2023, la Cour d’appel de Poitiers a confirmé le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Niort. Après avoir rappelé que le tiers désigné par les parties avait fixé le chiffre d'affaires annuel à la somme de 1.471.682 euros, elle a procédé au retraitement de cette somme en déduisant notamment, ainsi que le prévoit l'acte de cession, les ventes « hors comptoir », qu'elle a évalué à la somme de 53.000 euros, pour aboutir à un prix de vente de 1.297.347 euros.

C’est dans ce contexte que le cédant a formé un pourvoi en cassation, soulevant la question suivante : le juge peut-il fixer lui-même le prix de vente d’un fonds de commerce ?

Au visa des articles 1591 et 1592 du Code civil et de l’article 12 alinéa 1er du Code de procédure civile, la Cour de cassation a annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers.

L’article 1591 du Code civil prévoit en effet que « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. »

L’article 1592 du Code civil dispose quant à lui que « Il peut cependant être laissé à l'estimation d'un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers. »

Il en résulte que seuls les parties ou un tiers peuvent fixer le prix de vente.

Or, l’article 12 alinéa 1er du Code de procédure civile dispose que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Par conséquent, le tribunal ne pouvait chiffrer lui-même le montant des éléments à retrancher du chiffre d'affaires annuel pour déterminer le prix de cession, d’autant plus que les parties n’étaient pas d’accord sur le montant du chiffre d’affaires annuel à prendre en compte.

Le juge ne peut donc pas procéder à la fixation du prix de vente sans excéder ses pouvoirs.

In fine, conformément à l’acte de cession définitif, il revient au président du Tribunal de commerce de Niort, seul compétent, de désigner un expert afin de déterminer le prix de cession du fonds de commerce.

Cet arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence constante et réaffirme clairement le principe de non-immixtion du juge dans la sphère contractuelle.

Au surplus, il est à noter que la formulation volontairement générale de la Cour de cassation, selon laquelle « le juge ne peut procéder à la fixation du prix », confère à sa décision une portée excédant le seul cadre des cessions de fonds de commerce.

 

À rapprocher :

 

Un article rédigé par Estelle PHILIPPON du département Concurrence, Distribution, Consommation