Après avoir entendu dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Sapin II, qui a rendu ses conclusions le 7 juillet 2021, un grand nombre d’experts de la compliance, le député Raphaël GAUVAIN a déposé le 19 octobre 2021 une proposition de loi visant à améliorer le dispositif mis en place par la loi Sapin II.
La proposition s’articule autour de trois grands axes à savoir la lutte contre la corruption et les autres atteintes à la probité, la justice négociée et le registre des représentants d’intérêts.
La nouvelle répartition des compétences
Dès l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, l’AFA s’est imposée comme l’unique acteur en matière de conseil, de contrôle et de sanction du dispositif de prévention de la corruption au sein des entités publiques et privées. L’HATVP est quant à elle chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics. Elle est notamment en charge du contrôle du répertoire des représentants d’intérêts qui comprend les lobbyistes et toutes les personnes physiques ou morales susceptibles d’influencer les représentants du secteur public.
Il avait été évoqué une éventuelle fusion de l’AFA et de l’HATVP ou la possibilité pour l’Agence Française Anticorruption (AFA) de transférer l’intégralité de ses compétences de contrôle et de sanction à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), ne lui laissant qu’un rôle de conseil et d’appui. L’objectif est de faire de l’HATVP une autorité administrative indépendante compétente en matière de probité.
La proposition de loi confie en réalité à l’AFA une mission de coordination administrative et de programmation stratégique et lui permet de conserver ses pouvoirs de contrôle et de sanction concernant les acteurs économiques, des missions de monitoring et de contrôle de la loi de blocage.
En revanche, les pouvoirs de contrôle et de sanction des acteurs publics reviennent à la HATVP.
A ce titre, une commission des sanctions, inspirée de celle de l’AFA, est créée au sein de la HATVP et cette autorité élaborera des recommandations destinées aux acteurs publics (Article 1).
Ces pouvoirs de contrôle et de sanction seront équivalents à ceux de l’AFA (Article 4).
Cette division des compétences est propice à la définition d’un référentiel anticorruption, et plus largement éthique, plus adapté aux acteurs publics. En effet, les quatre années de contrôle ont permis de mettre en exergue l’inadaptation du référentiel des personnes privées aux acteurs publics.
L'obligation de mise en demeure
En cas de manquement aux obligations de conformité en matière de lutte contre la corruption, la proposition évoque l’obligation pour le Directeur de l’AFA de transmettre une mise en demeure de se conformer (dans un délai de 6 mois à 2 ans) avant toute saisine de la commission des sanctions, sauf en cas d’agissement de mauvaise foi ou d’absence de coopération de la personne morale (Article 5). Cela permet aux entreprises de mettre en place les mesures de conformité.
Les débats devant la commission des sanctions ne seraient pas publics mais la commission pourra décider le contraire par décision motivée (sans précision des critères).
Le renforcement des obligations et de la responsabilité
Outre le renforcement des obligations de conformité pour les acteurs publics (Article 2) et l’obligation de publier un rapport spécial pour ces derniers (Article 3), la proposition étend le champ d’application des obligations de l’article 17 de la loi Sapin II, supprimant la condition du « siège social en France » comme critère d’assujettissement.
Actuellement, seules les entreprises immatriculées en France sont soumises aux obligations de la loi Sapin II. Cette proposition prévoit d’élargir le champ en incluant les entreprises dont le siège social n’est pas en France. Ainsi, les filiales des grands groupes étrangers dépassant les seuils et ayant une activité en France
seront soumises à ces obligations (Article 1). Cela renforce l’extraterritorialité de la loi Sapin II.
La proposition évoque également l’extension de la responsabilité des personnes morales aux cas dans lesquels le défaut de surveillance conduit à la commission d’une infraction par un salarié (Article 8). Cet article encouragerait fortement toutes les entreprises, y compris non assujetties à l’article 17 de la loi Sapin II, à mettre en place un programme de prévention des risques permettant d’éviter d’engager leur responsabilité pour défaut de surveillance.
Enfin la proposition renforce les obligations auxquelles sont soumis les représentants d’intérêts et la responsabilité des décideurs publics (Article 9).
Le renforcement des droits de la défense
Afin d’encourager la révélation spontanée des faits de corruption, la proposition prévoit une amélioration de la CJIP.
La proposition a pour objectif de renforcer les droits de la défense au stade de la négociation de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) mais également de l’enquête interne, lorsque celle-ci est corrélée à des poursuites pénales.
La CJIP
L’enquête interne La personne physique exclue du mécanisme de justice négociée Ainsi, dans le cadre d’une CJIP, dès lors que le procureur de la République envisage de proposer une CJIP, il devrait en aviser l’entreprise concernée et la personne morale bénéficierait d’un accès au dossier et d’un délai pour préparer son argumentaire, accompagnée d’un conseil. Le procureur peut désigner en accord avec l’entreprise, un mandataire chargé de représenter l’entité dans les négociations afin d’éviter les conflits d’intérêts lorsque les dirigeants sont impliqués dans les faits de corruption et pour permettre à ce dernier de se concentrer sur sa propre défense. De même, la protection applicable aux informations et documents transmis au cours de cette négociation serait renforcée, notamment lorsque l’entreprise renonce à conclure une CJIP au cours de la période de négociation ou si elle refuse la proposition du procureur (Article 6).
La proposition étend également à 5 ans le délai imposé à l’entreprise pour mettre en place les mesures de conformité définies par la CJIP (actuellement 3 ans). Elle propose enfin d’étendre le bénéfice de la CJIP au délit de favoritisme.
L'enquête interne
Lorsque l’enquête interne est réalisée dans le cadre de poursuites pénales, il conviendra d’assurer les droits de la défense des personnes physiques, en les convoquant dans un délai raisonnable, en laissant la personne soupçonnée consulter le dossier et en prévenant cette dernière de la clôture de l’enquête. Par ailleurs, chaque audition doit être retranscrite dans un procès-verbal relu et signé par la personne auditionnée, qui pourra formuler des observations écrites (Article 7).
La personne physique exclue mu mécanisme de justice négociée
Si depuis la mission d’évaluation de la loi Sapin II il avait, a de nombreuses occasions, été mentionné la création d’un mécanisme de justice négociée englobant la personne morale et la personne physique, mandataire social, cette idée n’a pas été retranscrite dans la proposition déposée par le député Raphaël GAUVAIN. Ce sujet demeure en suspend et il y a fort à parier que la question fera l’objet de vifs débats.