Prix de revente imposés : rappel de l’obligation pour les autorités de concurrence et juridictions nationales de démontrer l’existence d’une restriction par objet
Cass. com. 28 juin 2023, n° 22-17.933
Ce qu’il faut retenir :
Bien que la pratique de prix de vente imposés soit qualifiée par la Commission européenne de restriction caractérisée (i.e. une restriction de concurrence grave excluant le bénéfice de l’exemption par catégorie), cela ne dispense pas les autorités de concurrence et juridictions nationales de démontrer la qualification de restriction par objet (i.e. un accord présentant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence tel qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner les effets).
Pour approfondir :
En 2019, l’autorité portugaise de concurrence a sanctionné un fabricant portugais de boissons pour avoir imposé aux distributeurs indépendants des prix minimaux de revente à facturer à leurs clients finals dans les hôtels, les restaurants et les cafés.
En pratique, les distributeurs appliquaient les prix imposés par le fabricant, lequel contrôlait leur bonne application. En effet, en cas de non-respect des prix minimaux de revente, les distributeurs pouvaient s’exposer à des « représailles » (par ex. suppression de remises commerciales ; refus de livraison).
Le fabricant a fait appel de la décision, estimant que l’autorité n’avait démontré ni l’existence d’un accord ni le caractère préjudiciable de la pratique.
Dans ce cadre, la Cour d’appel de Lisbonne a interrogé à titre préjudiciel la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la « CJUE ») sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE et notamment sur l’obligation ou non d’examiner le degré de nocivité de la pratique de prix de revente imposés.
En substance, la juridiction de renvoi s’est interrogée sur les points suivants, que l’on peut résumer ainsi :
(i) La notion de « restriction de concurrence par objet » est-elle susceptible de couvrir, et le cas échéant sous quelles conditions, un accord vertical de fixation de prix minimaux de revente ?
(ii) Comment faut-il apprécier la notion d’ « accord » au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, dans le cas de prix de vente imposés ?
(iii) La démonstration de l’existence d’un « accord » nécessite-t‑elle de prouver que les distributeurs ont suivi, dans la pratique, les prix minimaux fixés par le fabricant notamment au moyen de preuves directes ?
(iv) La notion d’ « effet sur le commerce entre Etats membres » englobe-t-elle le cas où l’accord vertical de fixation de prix minimaux de revente s’étend à la quasi-totalité mais non l’intégralité du territoire d’un Etat membre ?
Pour mémoire, en vertu de l’article 4, point a) du Règlement européen 2022/720, la pratique de prix de vente imposés est considérée comme une restriction caractérisée : il s’agit d’une restriction grave de concurrence, ce qui a pour conséquence de l’exclure du bénéfice de l’exemption par catégorie.
Dans ses Lignes directrices, au paragraphe 179, la Commission rappelle que les restrictions caractérisées sont généralement des restrictions par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, mais nuançant son propos puisqu’elle énonce que « toutefois, les restrictions ne relèvent pas nécessairement de l’article 101, paragraphe 1, du traité ».
Par un arrêt du 29 juin 2023, la CJUE est venue apporter des clarifications sur les questions posées par la juridiction de renvoi :
(i) La CJUE réaffirme que les accords verticaux de fixation de prix minimaux de revente peuvent, sous certaines conditions, restreindre la concurrence par leur objet – néanmoins, la CJUE rappelle que la notion de restriction par objet est interprétée de manière restrictive et cela implique d’analyser que l’accord révèle « un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, compte tenu de ses dispositions, des objectif qu’il vise à atteindre ainsi que de l’ensemble des éléments caractérisant le contexte économique et juridique dans lequel il s’insère » (para. 63 de l’arrêt précité).
Dit autrement, le fait que la pratique de prix de revente imposés soit qualifiée par le Règlement européen 2022/720 de restriction caractérisée ne signifie pas qu’elle est également qualifiée de restriction par objet au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE (« les notions de « restriction caractérisée » et de « restriction par objet » ne sont pas conceptuellement interchangeables et ne coïncident pas nécessairement. Il convient donc de procéder à un examen, au cas par cas, des restrictions exclues de ladite exemption, au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. », para. 41 de l’arrêt précité).
La CJUE n’a fait qu’ici rappeler le droit positif dans la mesure où les restrictions caractérisées ne constituent pas nécessairement des restrictions par objet.
Enfin, la CJUE souligne le fait que les effets proconcurrentiels attachés à l’accord doivent être pris en compte en tant qu’éléments de cet accord, ce qui pourrait faire douter du caractère suffisamment nocif de cet accord à l’égard de la concurrence. Le fournisseur fixant des prix de revente minimum aux distributeurs pourra présenter des effets proconcurrentiels (par ex. : campagne de prix bas à court terme) pour tenter de résister à la qualification de restriction par objet. Toutefois, cela a peu de chance d’aboutir si l’objectif de cet accord est uniquement d’empêcher la concurrence par les prix en aval.
(ii) Dans la continuité de la jurisprudence constante, la CJUE rappelle que la notion d’ « accord » au sens de l’article 101, paragraphe 1 du TFUE, implique qu’il existe un concours de volontés entre le fournisseur et les distributeurs – ce concours de volontés peut résulter des clauses du contrat de distribution en cause, ou encore du comportement des parties, à savoir l’existence éventuelle d’un acquiescement explicite ou tacite de la part des distributeurs à une invitation à respecter des prix minimaux de revente.
Le fait que les prix minimaux de revente soient suivis par les distributeurs ou que leur indication soit sollicitée par ces derniers, est susceptible de refléter l’acquiescement des distributeurs à la fixation, par le fournisseur, de prix minimaux de revente.
(iii) Conformément au principe d’effectivité exigeant que la preuve d’une violation du droit européen de la concurrence puisse être rapportée par des preuves directes et au moyen d’indices sous réserve qu’ils soient objectifs et concordants, l’existence d’un accord d’une pratique de prix de revente imposés entre fournisseur et distributeurs peut être établie au moyen de preuves directes et par des indices objectifs et concordants.
(Iv) De jurisprudence constante, la CJUE réitère sa position quant à la notion d’affectation du commerce entre Etats membre et rappelle que l’accord couvrant le territoire d’un seul Etat membre (ou d’une partie de celui-ci) est susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres.
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La CJUE fait application des concepts établis du droit européen de la concurrence, ces derniers s’appliquant également aux pratiques de prix de revente imposés.
Les autorités de concurrence et juridictions nationales restent tenues de démontrer que la pratique de prix de revente imposés présente un degré suffisamment nocif à l’égard de la concurrence tel qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner les effets.
A rapprocher :
Un article rédigé par Fanny Barach du département Distribution, Concurrence, Consommation