Précisions sur le mode de calcul du préjudice concurrentiel réparable en matière de Private enforcement

Précisions sur le mode de calcul du préjudice concurrentiel réparable en matière de Private enforcement

Com. 1ère, 1er mars 2023, n° 20-18.356

 

 Ce qu’il faut retenir :

Conformément à l’article 1240 du Code civil et au principe de la réparation intégrale du préjudice, le préjudice résultant de l’indisponibilité des sommes allouées au titre du préjudice de développement résultant de pratiques anticoncurrentielles doit être apprécié en prenant en compte la constitution progressive du préjudice.

 

Pour approfondir :

En 2004, le Conseil de la concurrence, auquel a depuis succédé l’Autorité de la concurrence, a été saisi de pratiques mises en œuvre par un leader du marché de la fourniture de services de téléphonie mobile et sa filiale dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane.

 

Ces pratiques consistaient d’une part, en l’insertion, au sein d’accords de distribution conclus avec les distributeurs indépendants, de clauses d’exclusivité et de non-concurrence, et d’autre part, en la mise en place d’une politique tarifaire à l’égard de ces distributeurs indépendants en matière de commercialisation des terminaux.

Par une décision en date du 9 décembre 2009, l’Autorité de la concurrence a constaté et condamné les pratiques mises en œuvre, considérant que les sociétés avaient enfreint les dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 du Code de commerce, et 101 et 102 du TFUE.

La société victime de ces pratiques anticoncurrentielles a en conséquence saisi le Tribunal de commerce de Paris d’une demande indemnitaire sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 du Code civil.

 

Condamnées in solidum en appel à payer à leur concurrent la somme de 173,64 millions d’euros au titre de la réparation du préjudice de développement, cette somme portant intérêts compensatoires réparant le préjudice additionnel né de l’indisponibilité de la somme allouée au titre du préjudice de développement, les sociétés autrices des pratiques concurrentielles ont saisi la Cour de cassation, qui s’est prononcée dans un arrêt du 1er mars 2023.

Elles reprochaient notamment à la Cour d’appel, d’une part, d’avoir reconnu que le préjudice de développement invoqué constituait un gain manqué, et d’autre part, d’avoir porté le point de départ des intérêts compensatoires à une date où ce préjudice n’était pas entièrement constitué.

 

Sur le premier point, la Cour de cassation a confirmé que le préjudice global de développement invoqué par la société victime des pratiques anticoncurrentielles constituait un gain manqué, devant être intégralement réparé, et non pas une perte de chance.

 

La Cour expose en effet que « le préjudice subi par un opérateur présent sur un marché faussé par des pratiques de fidélisation, de discrimination tarifaire et d’exclusivité abusives verrouillant l’accès à la clientèle consiste en une limitation des ventes dont le montant a été reconstitué, par la mise en œuvre de méthodes contrefactuelles, admises par la doctrine économique et reposant nécessairement sur des hypothèses dont la pertinence a été débattue par les parties et analysée par l’arrêt, sur la base d’un fonctionnement du marché qui n’aurait pas été faussé par les comportements fautifs relevés », et qu’ainsi « la cour d’appel a exactement décidé que ce préjudice n’était pas une perte de chance mais un gain manqué ».

 

Sur le second point, la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel ayant retenu un point de départ des intérêts compensatoires réparant le préjudice additionnel né de l’indisponibilité de la somme allouée au titre du préjudice de développement au 1er avril 2006. Elle considère en effet qu’à cette date, le préjudice n’était nécessairement pas entièrement constitué, puisque les pratiques fautives, si elles avaient bien débuté au 1er avril 2006, avaient duré plusieurs années. Elle en déduit que, sauf à contrevenir au principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit, le préjudice résultant de l’indisponibilité des sommes allouées au titre du préjudice de développement devait être progressif.

 

A rapprocher :

CJCE, 13 juillet 2006, Manfredi e. a., aff. jtes C-295/04 à C-298/04
CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd c/ Bernard Crehan et Bernard Crehan c/ Courage Ltd et autres, aff. C-453/99

 

Un article rédigé par Clémence Berne du département Distribution, Concurrence, Consommation