Opposabilité des clauses limitatives de responsabilité aux tiers

Opposabilité des clauses limitatives de responsabilité aux tiers

Com. 3 juill. 2024, n° 21-14.947, B+L

Ce qu’il faut retenir :

Le tiers au contrat, qui invoque un manquement contractuel lui ayant causé un dommage délictuel, peut se voir opposer les clauses limitatives de responsabilité dudit contrat.

 

Pour approfondir :

A l’origine de cette affaire se trouve un contrat, conclu entre deux sociétés en novembre 2014, portant sur la manutention et le déchargement de machines produites par l’une de ces sociétés. Un employé de la société de manutention endommage l’une des machines, ce qui donnera lieu à l’indemnisation de la société productrice desdites machines par son assureur. Subrogée dans les droits de son assurée, l’assureur assigne alors la société de manutention en paiement de dommages et intérêts, d’abord sur le fondement de la responsabilité contractuelle, puis sur le fondement de la responsabilité délictuelle sur demande du juge d’appel. La société de manutention invoque alors une clause limitative de responsabilité issue des conditions générales du contrat conclu en novembre 2014.

 

Alors que la Cour d’appel de Paris condamne la société de manutention à indemniser l’assureur et refuse de faire application des clauses limitatives des responsabilité, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel sur ce point.

 

Cet arrêt est l’occasion tout d’abord de revenir sur une jurisprudence désormais connue et acquise depuis l’arrêt d’Assemblée Plénière du 6 octobre 2006 (pourvoi n° 05-13.255) : le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. La position de la jurisprudence s’était encore renforcée avec l’arrêt d’Assemblée Plénière du 13 janvier 2020 (pourvoi n° 17-19.963), selon lequel si le tiers établit un lien de causalité entre le manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.

 

L’arrêt du 3 juillet 2024, cette fois-ci rendu par la seule chambre commerciale, se situe dans le sillage des deux décisions précitées, en se prononçant sur un point jusqu’ici non évoqué par la jurisprudence. La Haute Juridiction énonce ainsi, au point n°13 de la décision, que « pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants ».

 

Pour justifier l’opposabilité des clauses limitatives de responsabilité aux tiers, la Cour de cassation se fonde ainsi sur la sécurité juridique, en faisant référence aux « prévisions du débiteur ». Le tiers qui invoque un manquement contractuel peut donc se voir opposer les clauses limitatives de responsabilité, dont il ne connait pas nécessairement l’existence, tandis que le débiteur conserve la portée de son engagement lors de la conclusion du contrat. Aussi, l’opposition des clauses limitatives de responsabilité au tiers empêche celui-ci de bénéficier d’une situation préférable à celle du créancier du contrat, mettant ainsi fin à certaines critiques qui avaient pu être avancées par la doctrine.

 

Cette solution s’oppose à celle qui s’applique en matière de responsabilité délictuelle classique, où les clauses limitatives de responsabilité ne peuvent trouver aucune efficacité (Civ. 1ère 5 juill. 2017, n° 16-13.497), conformément au principe de la réparation intégrale du préjudice, lequel se trouve donc ici contrarié pour le tiers au contrat.

 

Il reste toutefois à savoir si cette position sera suivie par les autres chambres de la Cour de cassation.

 

A rapprocher : Ass. Plen., 6 oct. 2006, n°05-13.255 ; Ass. Plen., 13 janv. 2020, n°17-19.963

 

Un article rédigé par Lorene Murat-Henri du département Concurrence, Distribution, Consommation