Nullité du contrat d'achat exclusif de boissons d'une durée supérieure à 5 ans
CA Bourges, 1ère chambre, 28 février 2025, n°24/00592
Ce qu'il faut retenir :
La nullité du contrat d’achat exclusif de boissons ne peut être prononcée pour déséquilibre contractuel sur le fondement de l’article 1169 du Code civil s’il existe des contreparties.
En revanche, le contrat d’achat exclusif de boissons d’une durée supérieure à 5 ans est nul, en application du droit de l’Union européenne.
Pour approfondir :
En 2017, une société exerçant une activité de commerce en gros de boissons de brasserie et de vins a conclu avec l’exploitant d’un fonds de commerce de café restaurant un contrat d’achat exclusif de boissons pour une durée de six ans.
Le contrat prévoyait un approvisionnement et une distribution exclusive de produits déterminés et dans des quantités précises par l’exploitant auprès du grossiste. En contrepartie, le grossiste a consenti à l’exploitant un prêt sans intérêt remboursable sur 72 mois mais également des avantages économiques et financiers, telles que la mise à disposition de matériels et l’application de remises.
En 2021, l’exploitant a cédé son fonds de commerce à un cessionnaire qui n’a pas souhaité reprendre le contrat d’achat exclusif, étant précisé que ce contrat était garanti par un nantissement de fonds de commerce.
Dans un premier temps, l’exploitant a assigné le grossiste afin d’obtenir la nullité du contrat d’achat exclusif et la mainlevée de l’opposition au paiement du prix de cession sur le fonds de commerce mais cette instance a fait l’objet d’un désistement.
Dans un second temps, c’est le grossiste qui a assigné l’exploitant cédant afin d’obtenir la résolution du contrat d’achat exclusif aux torts de l’exploitant ainsi que le règlement de deux pénalités contractuelles au titre de la rupture dudit contrat (remboursement du matériel et clause pénale) et en remboursement du solde du prêt.
En première instance, les juges ont fait droit à la demande de résolution du contrat d’achat exclusif et ont notamment condamné l’exploitant à indemniser le grossiste au titre de la clause pénale.
En appel, l’exploitant a de nouveau soulevé la nullité du contrat d’achat exclusif et sur les deux fondements suivants :
En premier lieu, celui-ci invoquait la nullité du contrat d’achat exclusif sur le fondement de l’article 1169 du Code civil au motif que la contrepartie à l’exclusivité était illusoire ou dérisoire.
La Cour d’appel a rejeté la nullité invoquée sur ce fondement au motif que le grossiste a accordé à l’exploitant un prêt sans intérêt remboursable sur 72 mois sans que l’exploitant ne démontre le caractère dérisoire de ce prêt au regard de son activité économique, qu’il a mis du matériel à la disposition de l’exploitant et que l’exploitant pouvait bénéficier de remises annuelles.
En outre, la Cour d’appel a repris les dispositions du contrat d’achat exclusif pour retenir que l’exploitant avait reconnu que la contrepartie constituait « un avantage économique et financier réel, déterminant son consentement » (article 1er).
En l’absence de preuves contraires rapportées par l’exploitant, la Cour a estimé que les parties avaient réciproquement reconnues l’existence d’une contrepartie.
La Cour a ainsi rejeté la nullité du contrat d’achat exclusif sur le fondement du déséquilibre contractuel.
En second lieu, l’exploitant invoquait la nullité du contrat d’achat exclusif sur le fondement du règlement n°330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, ce que conteste le grossiste au motif que ce contrat n’affectait pas le commerce entre les Etats membres et que l’exploitant ne démontrait pas que les parts de marché des entreprises parties respectaient le seuil de 30%.
La Cour d’appel a considéré que le règlement était applicable au contrat d’achat exclusif car les parties avaient prévu, en préambule, de placer leur contrat dans le cadre du règlement n°1983/83 du 22 juin 1983, dispositions qui ont été reprises dans le règlement n°330/2010 (aujourd’hui le règlement n°720/2022).
Ce règlement prévoit qu’est nul tout contrat de distribution exclusive d’une durée supérieure à 5 ans en ce qu’il peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre, ou de fausser le jeu de la concurrence (article 5 du règlement n°330/2010).
Sur ce fondement, la Cour d’appel a infirmé le jugement et prononcé la nullité du contrat d’achat exclusif de boissons d’une durée six ans.
En conséquence, la clause d’approvisionnement exclusif ne doit pas excéder une durée de 5 ans au risque de remettre en cause l’intégralité du contrat.
Par ailleurs, et notamment en cas de renouvellement du contrat, les parties doivent porter une attention particulière afin que la durée de l’exclusivité d’approvisionnement n’excède pas 5 ans dans les faits.
Par ailleurs, nous rappelons toutefois que, sous certaines conditions, la durée de l’exclusivité d’approvisionnement peut être supérieure à 5 ans :
1/ en cas d’exemption individuelle sur le fondement de l’article 101 paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – cela suppose de démontrer que l’accord a des effets pro concurrentiels et plus exactement que les conditions cumulatives posées par l’article précité soient remplies : (i) l’accord contribue au progrès économique, (ii) l’accord est nécessaire pour réaliser les gains d’efficacité, (iii) l’accord permet aux consommateurs de tirer un bénéfice, et enfin (iv) l’accord n’élimine pas la concurrence. Or, s’il n’est pas impossible de tenter de faire bénéficier l’accord d’une exemption individuelle, les conditions de l’exemption individuelles sont strictes, de sorte qu’il est difficile de les remplir, ou
2/ en application de la théorie des restrictions accessoires : selon cette théorie, les restrictions de concurrence accessoires à une opération principale licite sont réputées ne pas enfreindre les règles de concurrence. Par exemple, s’agissant d’un contrat de franchise, il est admis de prévoir une exclusivité d’approvisionnement supérieure à 5 ans sans pouvoir excéder 10 ans conformément à l’article L. 330-1 du Code de commerce.
À rapprocher :
Un article rédigé par Anne QIN du département Concurrence, Distribution, Consommation