Ce qu’il faut retenir :
Il n’est fait droit à la demande d’un associé d’une société à responsabilité limitée tendant à obtenir la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée que si cette demande est conforme à l’intérêt social.
Pour approfondir :
L’arrêt du 15 décembre 2021 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, publié au Bulletin, apporte une précision importante par rapport à un précédent arrêt rendu par cette juridiction dans la même affaire le 6 février 2019 (Cass.com., 6 février 2019 – n°16-27.560).
Pour rappel, afin de passer outre le refus du gérant de convoquer une assemblée générale ayant notamment pour ordre du jour la révocation de ce dernier, un associé majoritaire d’une société à responsabilité limitée a demandé en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer ladite assemblée.
La Cour d’appel de Lyon avait d’abord débouté l’associé majoritaire de sa demande, jugeant qu’elle tendait essentiellement à obtenir la révocation de M. X de son mandat de gérant ainsi que la désignation d'un nouveau gérant « plus captif pour servir ses intérêts propres » et que la demande ne tendait pas, par ailleurs, à la préservation de l'objet social de la société (CA Lyon, 18 octobre 2016 – n°16/05405).
La Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon, considérant que les juges du fond étaient tenus de faire droit à la demande de l’associé tendant à la désignation d'un mandataire chargé de convoquer une assemblée ayant pour objet de révoquer le gérant devant le refus de ce dernier de procéder à une telle convocation et que les juges du fond n’avaient pas à en apprécier l'opportunité.
Par un arrêt en date du 23 janvier 2020, la Cour d’appel de Lyon réforme son jugement en désignant un mandataire chargé de convoquer une assemblée ayant notamment pour ordre du jour la révocation du gérant, affirmant qu’elle n’avait pas à en apprécier l’opportunité, pas même, au regard de l’intérêt social (CA Lyon, 23 janvier 2020 – n°19/01761).
Le gérant et la société se pourvoient, à leur tour, en cassation. Si la Haute Juridiction rejette leur pourvoi, elle précise néanmoins que c’est à tort que la Cour d’appel a énoncé que le juge saisi d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale n’avait pas à apprécier cette demande au regard de l'intérêt social.
La Cour de cassation consacre donc la conformité à l’intérêt social comme critère d’appréciation de la demande de désignation du mandataire ad hoc.
L’introduction d’une telle condition de recevabilité, dans la mesure où l’alinéa 7 de l’article L. 223-27 du Code de commerce énonce simplement que tout associé peut demander en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée et de fixer son ordre du jour, peut interroger, d’autant plus que l’intérêt social est une notion aux contours flous et peu définis.
C’est pourtant la position qu’avait déjà adoptée la Haute Juridiction dans un arrêt en date du 19 juin 1990 dans lequel elle affirmait que c’était à bon droit que le juge saisi par un associé de société à responsabilité limitée d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée avait vérifié que celle-ci tendait à des fins légitimes conformes à l’intérêt social (Cass.com., 19 juin 1990 – n°89-14.560).
Il convient d’ailleurs de garder à l’esprit que la faculté donnée aux associés de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée n’a vocation à être exercée que pour suppléer la carence du gérant dont relève, en principe, le pouvoir de procéder à une telle convocation.
Il s’agit donc pour le juge de trouver un point d’équilibre entre le principe d’ordre public de libre révocabilité des mandataires sociaux et l’intérêt social de la société.
Au cas particulier, la demande de l’associé a été accueillie et la Chambre commerciale de la Cour de cassation, constatant qu’il n’était pas démontré que la demande de l’associé était contraire à l’intérêt social et que les requérants ne se contentaient en réalité que de contester les motifs de la révocation dont le juge n’avait pas à apprécier l’opportunité, a rejeté le pourvoi.
Soulignons enfin que cette solution, rendue à propos d’une société à responsabilité limitée, nous paraît transposable à la société civile, dans laquelle les associés ont également la faculté de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée en vertu de l’article 39 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, entendons donc, sous réserve de la conformité de la demande à l’intérêt social.