L’envoi de messages privés racistes, via la messagerie professionnelle, ne peut être sanctionné par l’employeur.

L’envoi de messages privés racistes, via la messagerie professionnelle, ne peut être sanctionné par l’employeur.

Ccass soc 6 mars 2024, n°22-11.016

 

Ce qu’il faut retenir :

L’employeur ne peut licencier pour motif disciplinaire, un salarié ayant envoyé des messages au contenu raciste et xénophobe via la messagerie professionnelle, dès lors qu’il s’agit de messages privés, non voués à être rendus publics.

 

Pour approfondir :

Dans cette affaire, une salariée d’une caisse primaire d’assurance maladie avait diffusé à ses collègues des propos racistes et xénophobes par le biais de sa messagerie professionnelle. En raison d’une erreur d’envoi de l’un des destinataires, l’employeur a pris connaissance de ces messages et a licencié la salariée pour faute grave, en raison de leur contenu.

 

La salariée a contesté son licenciement, au motif que les faits qui lui étaient reprochés relevaient de sa vie privée, et ne pouvaient donc pas justifier son licenciement disciplinaire.

 

La Cour d’appel a estimé que le contenu des messages envoyés par la salariée à partir de sa messagerie professionnelle, et dans une conversation qualifiée de « personnelle et confidentielle », relevait de sa vie personnelle. Elle en a ainsi déduit, qu’en dépit du contenu des messages, l’employeur ne pouvait se fonder sur leur contenu pour licencier la salariée pour faute, et a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

 

Rappelons ici, que selon une jurisprudence constante, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ccass soc 30 sept 2020 n°19-12.058)

 

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a récemment estimé, en application du principe du respect de la vie personnelle du salarié, qu’une conversation privée, qui n’est pas destinée à être rendue publique, ne peut constituer un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail. Dans cette affaire, les propos homophobes échangés par des salariés à propos de l’un de leurs collègues sur la messagerie d’un compte Facebook installée sur un ordinateur professionnel ne pouvait justifier un licenciement disciplinaire (Ccass ass plén 22 décembre 2023 n°21-11.330)

 

Dans l’affaire présente, la Cour de cassation reprend cette précédente décision, pour approuver le raisonnement de la Cour d’appel, ayant rejeté l’argumentation de l’employeur. Ce dernier estimait que le contenu des correspondances litigieuses « excédait très largement les limites admissibles de l'exercice par un salarié de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise », au motif :

  • de l'atteinte que ces messages, envoyés dans des conditions permettant son identification, portaient à son image ;
  • d'un manquement au principe de neutralité et de laïcité auquel sont soumis les agents qui participent à une mission de service public telle que la gestion d'un organisme de sécurité sociale ;
  • de la violation du règlement intérieur et de la charte d'utilisation de la messagerie électronique, qui interdisaient expressément l'utilisation de cet outil pour diffuser des propos racistes ou discriminatoires.

A cet égard, la Haute Cour reprend les constatations de la Cour d’appel et relève que :

 

  • - « les messages litigieux s’inscrivaient dans le cadre d’échanges privés», qu’ils n’étaient destinés qu’à un faible nombre de personnes et n’avaient manifestement pas vocation à être diffusés hors de ce groupe restreint. A contrario, dans une autre affaire, la Cour de cassation avait considéré que la publication en cause caractérisait un manquement à l’obligation contractuelle de confidentialité de la salariée, car publiée sur un compte privé Facebook comportant plus de 200 amis (précités Soc 30 septembre 2020).

 

  • - la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les propos tenus auraient eu une incidence sur l’emploi de la salariée, dans ses relations avec les usagers ou avec les collègues et en a déduit que « le moyen tiré du principe de neutralité découlant du principe de laïcité applicable aux agents qui participent à une mission de service public (…) est inopérant»

 

  • - si le règlement intérieur interdisait aux salariés d’utiliser les équipements appartenant à l’employeur pour leur compte et sans autorisation préalable, un salarié peut tout de même utiliser la messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu’il n’en abuse pas. Ainsi « l’envoi de neuf messages privés en l’espace de onze mois ne saurait être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu».

 

En conclusion, la Haute Cour confirme que « l’employeur ne pouvait, pour procéder au licenciement de la salariée, se fonder sur le contenu des messages litigieux, qui relevaient de sa vie personnelle ».

 

A rapprocher : Ccass soc 30 septembre 2020 n°19-12.058 ; Ccass Ass plén 22 décembre 2023 n°21-11.330 ; Ccass soc 23 octobre 2019 n°17-28.448 ; Ccass soc 30 novembre 2005 n°04-13.877 ; Ccass soc 2 juin 2024 n°03-45.269.

 

Un article rédigé par  Annaël Bashan et Morgane Tarrisse, du département droit Social