Le débauchage massif d’anciens salariés d'un concurrent, pourtant déliés de leur clause de non-concurrence, ayant entrainé sa désorganisation, constitue un acte de concurrence déloyale

Le débauchage massif d’anciens salariés d'un concurrent, pourtant déliés de leur clause de non-concurrence, ayant entrainé sa désorganisation, constitue un acte de concurrence déloyale

Cass. com., 13 avril 2023, n° 22-12.808

 

Ce qu’il faut retenir :

La Cour de cassation réaffirme que l’embauche d’anciens salariés d’une entreprise par une entreprise concurrente, bien qu’ils soient déliés de leur clause de non-concurrence, est constitutive d’un acte de concurrence déloyale dès lors que ce débauchage massif du personnel de son concurrent s’accompagne de manœuvres déloyales et a pour effet d'entraîner sa désorganisation.

 

Pour approfondir :

Une société a procédé à l’embauche de l’ancien directeur technique d’une entreprise concurrente, ayant démissionné peu avant de rejoindre cette dernière.

Cet employé a, à la suite de son embauche, contacté de nombreux salariés de son ancien employeur pour tenter de les débaucher, ce qui a conduit au débauchage effectif de 4 salariés par son nouvel employeur.

Ce dernier a, en conséquence, été assigné en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

 

La Cour d’appel de Versailles ayant, dans un arrêt du 13 janvier 2022, reconnu la commission d’actes de concurrence déloyale par la société à l’origine des débauchages, cette dernière a formé un pourvoi en cassation.

 

L’auteur des débauchages prétendait qu’il n’avait commis aucun acte de concurrence déloyale, et que, en tout état de cause, la désorganisation n’était pas avérée.

Il reprochait ainsi à l’arrêt rendu par la Cour d'appel de Versailles d’avoir retenu à son encontre la commission d’actes de concurrence déloyale, alors pourtant que les salariés débauchés n’étaient soumis à aucune clause de non-concurrence, ce qui excluait, selon elle, tout caractère illicite ou déloyal à l’embauche de ces salariés.

 

En effet, s’il est constant que le débauchage d’un salarié lié par une clause de non-concurrence est constitutif d’un acte de concurrence déloyale même en l’absence de manœuvres dolosives ou déloyales, un tel procédé n’est pas, en soi, déloyal, lorsqu’une telle clause ne lie pas le salarié débauché.

 

Il en va de même pour un débauchage massif de salariés non liés par une clause de non-concurrence, ce qui a déjà été confirmé par la jurisprudence (v. notamment Cass. com., 23 juin 2004, n° 02-17.635).

 

Néanmoins, le débauchage massif peut devenir déloyal dès lors que celui-ci est le résultat, ou s’accompagne, de manœuvres déloyales et a pour conséquence la désorganisation de l’entreprise du fait de ce débauchage, et ce alors même que les salariés débauchés ne sont pas liés par une clause de non-concurrence à leur ancien employeur.

 

C’est la solution retenue en l’espèce par la Cour de cassation, qui confirme l’arrêt d’appel et considère que le débauchage, bien que concernant des employés non liés par une clause de non-concurrence, a été accompagné de manœuvres déloyales et a eu pour effet la désorganisation de l’entreprise concurrente.

 

Ainsi, la Cour de cassation confirme que « constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d’un concurrent qui a pour effet d’entraîner sa désorganisation ».

 

Concernant les manœuvres déloyales, et bien que la Cour ne développe pas explicitement ce raisonnement, il ressort de son analyse, conforme à la jurisprudence constante, que le simple débauchage massif n’a pas été, per se, caractéristique de telles manœuvres.

 

La déloyauté dans le débauchage a été caractérisée, en l’espèce, par le fait que, peu après l’embauche (loyale) d’un ancien salarié de la société concurrente, ce dernier avait activement contacté la moitié du personnel de l’entreprise pour tenter de les débaucher.

 

Des propositions d’embauches avaient donc été formulées envers « la moitié de l’effectif des cadres, la totalité des agents de maîtrise, 38 % de l’effectif des techniciens et la totalité des fraiseurs de l’atelier », caractérisant dès lors la déloyauté du procédé qui était « contraire aux usages loyaux du commerce, quand bien même ces salariés avaient été déliés de leur engagement de non-concurrence », et cela même si l’entreprise n'avait pour finir débauché effectivement que quatre salariés.

 

Concernant l’effet du débauchage opéré, la Cour a retenu que bien que le débauchage n’ait concerné que quatre salariés, celui-ci, tout de même massif, concernait « la totalité du service qualité », et avait entrainé une « désorganisation profonde de la petite structure de la société ».

 

Cette désorganisation a en l’espèce été caractérisée par la difficulté qu’avait eu l’entreprise à remplacer le personnel débauché, notamment à des qualifications équivalentes à ses anciens employés, et par le fait que son activité s’était trouvée fortement ralentie du fait de ces départs.

 

A rapprocher :

  • - Cass. com., 23 juin 2004, n° 02-17.635 ;
  • - Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-18.164.

 

Un article rédigé par Clémence Berne du département Distribution, Concurrence, Consommation