L'autorité de la chose jugée au pénal : de la preuve illicite à la preuve licite

En bref :

 

Traditionnellement, la procédure civile n’accepte pas, à l’inverse du pénal, de preuves déloyales, illicites ou illégales. La Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 septembre 20221 vient de créer une exception à ce principe en jugeant que :

 

Lorsque le licenciement pour faute d’un salarié est fondé sur des infractions pour lesquelles celui-ci a été condamné au pénal, l’autorité absolue de la chose jugée au pénal permet à une preuve habituellement et procéduralement considérée comme illicite au plan civil d’être utilisée devant le Conseil de Prud’hommes.

 

Pour approfondir :

 

Un conducteur s’est trouvé mêlé à une altercation avec le chauffeur routier d’une autre entreprise en dehors de son lieu de travail. Mis à pied à titre conservatoire, il était par la suite licencié pour faute grave en raison de sa condamnation par le Tribunal de police pour ces faits de violence.

 

Le jugement pénal était fondé principalement sur un enregistrement de l’altercation illicite car fait à l’insu des protagonistes via un téléphone portable. Le salarié estimait que celui-ci ne pouvait être utilisé pour justifier son licenciement dans le cadre d’une procédure prud’hommale à raison de son caractère illicite en droit civil.

 

Le principe de loyauté de la preuve au civil :

 

En effet, dans le cadre d’une instance devant les Tribunaux civils, toutes les preuves ne sont pas considérées comme recevables, celles-ci devant respecter le principe de loyauté dans l’administration de la preuve2. Ce principe s’oppose à ce qu’un requérant puisse se prévaloir d’une preuve tirée d’un procédé mis en place à l’insu de la partie à laquelle elle l’oppose. Est donc habituellement considéré comme irrecevable l’enregistrement vidéo et/ou audio fait à l’insu d’une personne via un téléphone portable3. Pour autant, l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure et si l’atteinte à la vie privée est proportionnée au but poursuivi4.

 

Le principe de liberté de la preuve au pénal :

 

A l’inverse, en matière pénale, le principe de loyauté de la preuve ne s’impose qu’aux forces de l’ordre, le principe de liberté de la preuve permettant ainsi aux parties privées de produire tout élément qu’elles jugent probant, y compris lorsque les éléments ont été acquis de manière déloyale,

notamment par enregistrement clandestin5, dès lors que ceux-ci sont soumis à la discussion contradictoire6.

La question de droit posée :

 

En l’espèce, la question pouvait donc se poser de savoir laquelle de ses deux règles allaient s’appliquer à l’enregistrement en cause.

 

La solution de la Cour : l’application du principe d’autorité de la chose jugée au pénal :

 

Le principe d’autorité de la chose jugée, prévu par l’article 1355 du code civil, prévoit que « les décisions pénales [ont] au civil, autorité absolue à l’égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l’existence du fait incriminé et la culpabilité de celui auquel ce fait est imputé »7.

 

La supériorité du pénal sur le civil s’explique souvent par une opposition entre l’intérêt général et les intérêts privés mais également par la prévalence du système probatoire répressif.

 

L’arrêt du 21 septembre 2022 rappelle que « les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision. »

 

L’arrêt en conclut que l’admission de la preuve au pénal s’impose également aux juridictions civiles dont le Conseil de Prud’hommes fait partie, ce qui empêche ces juges d’écarter une preuve considérée comme illicite en temps normal.

 

La preuve pénale même obtenue déloyalement pourra donc être utilisée au civil dès lors que le procès pénal est terminé et qu’il a abouti à une condamnation sur la base de celle-ci, ce qui permettra d’enrichir les procédures civiles de preuves qui jusqu’alors étaient refusées.

 

L’employeur aura donc tout intérêt à mener une action pénale en parallèle de la procédure

 

Un article rédigé par David Marais et Julie Guenand, du département Droit pénal pénal de l'entreprise, Compliance, RSE & Intelligence économique