L'application stricte de la règle du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire

L'application stricte de la règle du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire

Cass. com., 10 sept. 2025, n° 24-20.833

Ce qu’il faut retenir :

Application stricte de la règle du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire : l’autorisation de fonctionnement du compte bancaire conférée par le liquidateur au débiteur pour subvenir à ses besoins personnels doit s’exercée dans les limites de celle-ci.

A défaut, les actes seront inopposables à la procédure.

Pour approfondir :

Les faits d’espèce concernent la procédure collective d’une agricultrice. Placée initialement en redressement judiciaire puis, en liquidation judiciaire, l’agricultrice est autorisée « à ouvrir et faire fonctionner seule un compte dans l'établissement de son choix pour ses besoins privés ». En méconnaissance des termes de cette autorisation, la débitrice n’ouvre pas de nouveau compte bancaire mais continue à utiliser le compte ouvert avant le prononcé de la procédure collective. Se plaignant de l’impossibilité de distinguer les flux patrimoniaux, ce qui présentait un risque pour la préservation du gage collectif des créanciers, le liquidateur judiciaire assigne la banque aux fins d’inopposabilité des sommes débitées pour en obtenir, consécutivement, la restitution.

Les Juges d’appel écartent cette demande, considérant que l’analyse des relevés bancaires confirmait que les dépenses avaient été réalisées conformément à l’objectif poursuivi par le liquidateur judiciaire (pour les dépenses personnelles de la débitrice), ce qui ne justifiait pas la sanction de l'inopposabilité.

La Cour de cassation censure cette décision aux termes d’une analyse rigoureuse de la règle du dessaisissement du débiteur édictée par

l’article L. 641-9 I du code de commerce   selon laquelle « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l'activité professionnelle, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. »

Si une telle solution peut se comprendre lorsque les opérations litigieuses réalisées au mépris de cette règle d’ordre public mettent en péril les droits des créanciers de la procédure collective en appréhendant des actifs dépendant de la liquidation judiciaire, la sanction de l’inopposabilité des virements opérés au débit d’un compte bancaire conformément à l’autorisation donnée par le liquidateur judiciaire, c’est-à-dire pour les besoins personnels de la débitrice, peut paraitre sévère.

Cet arrêt illustre l’importance pour les juridictions de voir respecter strictement la règle protectrice du dessaisissement, que les tiers soient ou non de bonne foi (Cass.com., 18 janv. 2000, n° 97-20.587) ou que le débit du compte bancaire ne constitue qu’une simple rectification d’une erreur initiale d’affectation bancaire (CA Pau, 2e ch - sect. 1, 11 avr. 2019, n° 17/03972).

Finalement, peu importe l’incidence de l’acte, le dessaisissement est absolu et impose l’inopposabilité de cet acte et la restitution des sommes par son bénéficiaire (Cass. com., 3 nov. 2010, n° 09-15.546), ou par la banque elle-même (Cass. com., 2 juillet 2025 n° 24-13.050).

À rapprocher :

Un article rédigé par Kristell QUELENNEC et Aurélien ARBUS du département Entreprises en Difficulté et Retournement