La recevabilité de l’action en inopposabilité des actes de disposition accomplis par le débiteur, au mépris de la règle du dessaisissement, n’est pas subordonnée à l’existence d’une insuffisance d’actif préalablement avérée
Cass. Com., 15 janv. 2025 n°23-18.695
Ce qu'il faut retenir :
L’action en inopposabilité des actes de disposition accomplis par le débiteur en violation de la règle du dessaisissement peut être initiée par le liquidateur dans l’intérêt de la masse des créanciers sans que sa recevabilité ne soit conditionnée par la démonstration d’un passif excédant les actifs de la procédure collective.
Pour approfondir :
Par suite du placement d’une société en liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire agit en inopposabilité d’opérations au débit du compte réalisées en violation de la règle du dessaisissement.
En défense, les deux sociétés soutenaient l’irrecevabilité de l’action pour défaut de qualité et d’intérêt à agir du liquidateur dont la mission est d’agir dans l'intérêt des créanciers qu’il représente conformément à l’article L.641-4 du Code de commerce, par renvoi de l’article L.622-20 du même code.
En effet, pour les défenderesses l’action n’était recevable que pour autant qu’elle participe à l’intérêt de la masse des créanciers, c’est-à-dire qu’elle participe à la reconstitution de l’actif au bénéfice des créanciers. En d’autres termes, l’action devait être utile, ce que supposait en amont qu’il existe et soit avérée l’existence d’une insuffisance d’actif. Faute d’insuffisance d’actif, il ne pouvait être soutenu et démontré que le liquidateur judiciaire agissait dans l’intérêt de tous les créanciers.
Les juges d’appel rejettent ce moyen : « la recevabilité de l'action n'est donc pas conditionnée à la démonstration préalable de l'existence d'une insuffisance d'actif, ni limitée au montant de cette dernière, qui en l'espèce n'était d'ailleurs pas connue à la date ou l'instance a été introduite. »
Sans surprise, la Haute Juridiction rejette le pourvoi formé par les défenderesses, estimant que le moyen soulevé n’est pas fondé.
Elle affirme qu’ « Il résulte de l'article L. 641-9 du code de commerce que les actes de disposition accomplis par le débiteur au mépris de la règle du dessaisissement, édictée par ce texte pour préserver le gage des créanciers au cours de la procédure, sont frappés d'une inopposabilité à la procédure collective dont le liquidateur peut se prévaloir, quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif. ».
Pour rappel, l’article L.641-9 du code de commerce énonce « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens, même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit, tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée ». Dès le jugement d’ouverture de la liquidation, le débiteur est représenté par le liquidateur, qui exerce tous les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, pendant la durée de la procédure.
La Cour de cassation rappelle régulièrement les contours de l’article L.641-9 du code de commerce :
- Tout acte pris en violation de la règle de dessaisissement est inopposable à la procédure collective (Cass. Com., 23 mai 1995, n° 93-16.930 ; Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-16.787) ;
- Seul le liquidateur est habilité à se prévaloir de cette inopposabilité (Cass. com., 16 octobre 2012, n° 10-25.387) - Les actes accomplis par le débiteur au mépris du dessaisissement peuvent être ratifiés par le liquidateur, dans l'intérêt des créanciers qu’il représente (Cass. com., 9 mai 2018, n° 16-20.430)
Pour la Haute juridiction, l’action en inopposabilité n’est pas subordonnée à l’établissement préalable d’une insuffisance d’actif. Il en eut été très certainement différemment si l’action avait été initiée en l’état d’un actif supérieur au passif vérifié de la liquidation. En pareille hypothèse, la qualité et l’intérêt à agir du liquidateur feraient assurément défaut.
À rapprocher :
• art. L.641-9 C. com,
• art. L.641-4,
• art. L.622-20,
• Cass. Com., 26 février 2020, 18-18.283,
• Cass. Com., 23 mai 1995, n° 93-16.930 ;
• Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-16.787,
• Cass. com., 16 octobre 2012, n° 10-25.387,
• Cass. com., 9 mai 2018, n° 16-20.430
Article rédigé par Kristell Quelennec et Clémentine Leroy Bourgeois du département Entreprises en difficulté