La poursuite d'une activité déficitaire ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes de la société

La poursuite d'une activité déficitaire ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes de la société

Cass. com, 11 décembre 2024 n°23-19.807

 

Ce qu'il faut retenir : 

La simple augmentation des dettes du dirigeant ne suffit pas à prouver une faute de gestion susceptible d’engager sa responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de liquidation judiciaire

Pour approfondir : 

En l’espèce, le liquidateur recherchait la responsabilité du président et actionnaire unique d’une société pour insuffisance d’actif et à obtenir qu’une sanction personnelle soit prononcée à son encontre pour une même faute : la poursuite d’une activité déficitaire.

Les juges du fonds entrent en voie de condamnation, la Cour d’appel révisant simplement le quantum de la condamnation pécuniaire.

Le dirigeant reproche à la Cour d’appel,
-D’une part, d’avoir violé l’article 562 alinéa 2 du code de procédure civile après qu’elle ait reformé le jugement qu’il lui était déféré alors que « lorsqu'elle annule un jugement, la Cour d'appel ne peut le confirmer ou l'infirmer. »
-D’autre part, d’avoir privé sa décision de base légale au regard de l’article L.651-2 du code de commerce en statuant sur des motifs impropres à caractériser la faute de gestion consistant à poursuivre une exploitation déficitaire.

Sur pourvoi formé par le dirigeant, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt déféré. Au visa de l’article 562 al.2 code de procédure civile, la Cour fait droit au 1er moyen du pourvoi. En annulant la décision qui lui était déférée, les juges d’appel ne pouvaient ensuite la reformer en son quantum.

Sur le second moyen, pour condamner le dirigeant au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et prononcer son interdiction de gérer, l’arrêt déféré relevait que des cotisations sociales étaient impayées et que le privilège général de la Sécurité sociale avait été inscrit au profit de deux organismes (l'Arcco et l'URSSAF). Des impôts et des dettes fiscales déclarés, faisant apparaître un accroissement des dettes de la société, les juges du fond en déduisaient que la faute de gestion tenant à la poursuite de l'activité déficitaire de la société avait contribué à l'insuffisance d'actif.

Rappelant les termes de l’article L.651-2 du Code de commerce, la Cour de cassation censure les juges du fond sur ce point retenant qu'en se « déterminant par des tels motifs, impropres à caractériser la poursuite d'une activité déficitaire, qui ne peut résulter du seul constat d'une augmentation du montant des dettes, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. ». En effet, selon l’article L.651-2 du code de commerce, les dirigeants peuvent être tenus responsables si une faute de gestion a contribué à cette insuffisance. Cependant, la simple augmentation des dettes ne suffit pas à prouver une telle faute. La poursuite d’une activité déficitaire doit être prouvée par d’autres éléments que le simple accroissement des dettes.

Il se dégage des critères retenus par la jurisprudence que la poursuite d’une activité déficitaire est caractérisée quand :
- Le dirigeant d’une société, qui n’a plus d’activité, continue à percevoir de cette société une rémunération, tout en fondant une société concurrente (CA Colmar, 1re ch. civ, sect. A, 25 oct. 2011, RG n°11/030529)
- Le dirigeant continue à percevoir pendant dix-huit mois la même rémunération, importante au demeurant, malgré les pertes (CA Versailles, 13e ch, 4 oct. 2012, RG n°12/02037)
- Le dirigeant continue de faire prendre en charge par la société le loyer de son véhicule pour un montant élevé par rapport aux possibilités financières de
la société et à percevoir de la société des revenus (Cass. com., 17 juin 2020, n°18-23.088)

Dans un arrêt rendu le 22 septembre 2021, la Haute juridiction a précisé que le maintien d’une activité déficitaire au sein d’une société bénéficiaire n’est pas intrinsèquement une faute de gestion (Cass. com., 22 sept. 2021, n 19-18936). En effet, la faute du dirigeant ne doit pas être appréciée en fonction du déficit lui-même, mais selon la manière dont il a agi face à ce déficit.

Enfin, dans les faits d’espèce, se fondant sur la même faute, la Cour d’appel avait également prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans. Par un moyen relevé d’office, la Haute juridiction précise, au visa des articles L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du code de commerce que l’interdiction de gérer ne peut être prononcée que dans les cas limitativement prévus par ces textes. La poursuite d’une exploitation déficitaire, qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, doit avoir été réalisée dans un intérêt personnel (C. com., art. L. 653-4, 4°).

À rapprocher :
CPC. art 562 al.2,
• C. com., art. L. 651-2, L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du code de commerce,
• Cass. com., 28 janv. 2004, n°01-11-711,
• CA Colmar, 1re ch. civ, sect. A, 25 oct. 2011, RG n°11/030529,
• CA Versailles, 13e ch, 4 oct. 2012, RG n°12/02037,
Cass. com., 17 juin 2020, n°18-23.088,
Cass. com., 22 sept. 2021, n 19-18936

 

Article rédigé par Kristell Quelennec et Clémentine Leroy Bourgeois du département Entreprises en difficulté