La nécessaire preuve de la non-répercussion du surcoût par la victime de pratiques anticoncurrentielles dans la cadre du régime probatoire antérieure à la transposition de la directive 2014/104/UE

La nécessaire preuve de la non-répercussion du surcoût par la victime de pratiques anticoncurrentielles dans la cadre du régime probatoire antérieure à la transposition de la directive 2014/104/UE

Cass. com., 6 sept. 2023, n° 22-13.753

Ce qu’il faut retenir :

La Cour de cassation confirme que la victime d’une pratique anticoncurrentielle constituée avant l’entrée en vigueur de la directive 2014/104/UE doit prouver la non-répercussion sur les consommateurs finaux des surcoûts qu’elle a elle-même subi afin de pouvoir démontrer son préjudice, et qu’une telle exigence ne méconnait pas le principe d’effectivité de l’article 101 du TFUE.

Pour approfondir :

Dans une décision du 18 décembre 2014, l’Autorité de la Concurrence avait établi une sanction record de près d’un milliard d’euros à l’encontre de fabricants de produits d’hygiène ayant participé à deux ententes anticoncurrentielles.

 

À la suite de cette décision, la société Carrefour a intenté une action dite en « follow-on » à l’encontre de la société Vania Expansion – l’un des fabricants condamnés par l’Autorité de la Concurrence – afin de se voir indemniser du préjudice subi découlant de cette pratique.

 

La société Carrefour prétendait avoir subi un préjudice de diminution des marges arrière du fait de l’entente, et avait ainsi assigné la société Vania devant le Tribunal de commerce de Paris, qui, dans une décision du 4 novembre 2019, a considéré que la preuve de ce préjudice était rapportée et a ainsi condamné la société Vania.

 

Le Tribunal de commerce, pour rendre une telle décision, avait incidemment fait application de la présomption de non-répercussion des surcoûts subis par les victimes introduites par la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014, et n’avait ainsi pas recherché si la victime avait répercuté les surcoûts qu’elle avait subis.

 

Or, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 5 janvier 2022, considérant que cette présomption ne pouvait être appliquée à des faits antérieurs à la transposition de la directive par l’ordonnance du 9 mars 2017 et à l’insertion au sein du Code de commerce de l’article L. 481-4, nécessitant dès lors que Carrefour démontre qu’elle n’avait pas répercuté les surcoûts générés par l’entente sur les consommateurs pour prouver son préjudice.

 

Se pourvoyant en cassation, la société Carrefour prétendait alors que le fait de subordonner « le succès de l’action indemnitaire [… à la preuve du fait négatif tenant à ce qu’elles n’avaient pas répercuté sur les consommateurs le surcoût consécutif aux pratiques anticoncurrentielles illicites que la cour d’appel a constaté, lorsque ces pratiques ressortissaient à une période qui n’était plus couverte par l’obligation de conservation des documents comptables, [mettait à sa charge] une preuve impossible ou du moins excessivement difficile à rapporter, méconnaissant ainsi le principe d’effectivité de l’article 101 du TFUE ».

 

Pour rappel, le principe d’effectivité du Droit de l’Union Européenne « oblige les États membres à garantir que les voies de recours et les règles de procédure ne rendent pas excessivement difficile, voire impossible, l’exercice des recours fondés sur le droit de l’UE » (Conclusions de l’avocat général ; Affaire C-536/11).

 

La Cour de cassation, dans son arrêt du 6 septembre 2023, rejette cet argument, en retenant que c’est à juste titre que la Cour d’appel, après avoir retenu l’existence d’un lien directe entre la perte de marges arrière de la victime et l’entente établie, avait considéré que la preuve de l’absence de répercussion du surcoût devait être démontrée par le demandeur, faute de quoi une indemnisation du préjudice pourrait conduire à un enrichissement sans cause de la victime.

 

Elle ajoute également que bien que la société Carrefour a communiqué une étude économique présentant un scénario contrefactuel, aucune preuve de l’absence de répercussion n’était apportée.

 

La Cour de cassation confirme donc que pour les faits antérieurs à la transposition de la directive, la charge de la preuve de l’absence de répercussion des surcoûts continue de peser sur le demandeur, et non pas sur le défendeur à l’action.

A rapprocher : Décision ADLC n°14-D-19 du 18 décembre 2014 ; Cass. Com. 19 oct. 2022, FS-B, n° 21-19.197

 

Un article rédigé par Clémence Berne du département Distribution, Concurrence, Consommation