La mésentente entre associés justifie la dissolution judiciaire d’une société lorsqu’elle paralyse son fonctionnement
Conseil constitutionnel, 9 décembre 2022 – Décision n°2022-1029 QPC
Ce qu’il faut retenir :
La mésentente entre associés ne constitue un juste motif de dissolution judiciaire que si cette dernière paralyse son fonctionnement empêchant toute poursuite de son activité, sans aucune autre alternative.
Pour approfondir :
L’arrêt du 18 janvier 2023 de la première Chambre civile de la Cour de cassation, publié au Bulletin, intervient à la suite d’un précédent arrêt rendu par la Haute Juridiction dans la même affaire le 5 avril 2018 (Cass. com., 5 avril 2018 – n°16-19.829) que nous avions également commenté.
Pour rappel, deux associés d’une société civile, détenant chacun 25 % des parts sociales, sollicitaient la dissolution judiciaire de cette dernière en raison d’une mésentente avec le troisième associé, par ailleurs gérant de ladite société, détenant 50 % du capital social, qui paralysait, selon eux, le fonctionnement de la société. Pour autant, les statuts de la société octroyaient au gérant une voix prépondérante en cas de partage de voix lors des assemblées, de sorte que le conflit opposant les associés ne bloquait pas, en tant que tel, le fonctionnement de la société.
La Cour d’appel de Toulouse avait pourtant initialement confirmé la dissolution judiciaire de la société prononcée en première instance, concluant notamment que si l'absence de blocage était avérée, le conflit entre les associés était de nature à compromettre l'équilibre financier de la société (CA Toulouse, 1er juin 2016 – n°15/04504).
Saisie par l’associé-gérant et la société, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait alors censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse au visa de l’article 1844-7, 5° du Code civil, considérant que les juges du fond n’avaient pas caractérisé la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Par un arrêt en date du 26 septembre 2019, la Cour d’appel de Montpellier devant laquelle l’affaire avait été renvoyée a réformé l’arrêt de 2016 et débouté les deux associés de leur demande de dissolution judiciaire (CA Montpellier, 26 septembre 2019 – n°18/03434).
À la suite de cet arrêt, les demandeurs à la dissolution judiciaire se sont, à leur tour, pourvus en cassation.
Par sa décision du 18 janvier 2023, la Haute Juridiction rejette leur pourvoi jugeant que la Cour d’appel, qui « avait la faculté de prendre en compte le droit de retrait conféré aux associés, qui ne s'est pas fondée sur une absence de blocage apparente et qui n'a pas subordonné la dissolution de la société à la preuve d'une situation financière irrémédiablement compromise, a pu en déduire que la mésentente entre les associés ne paralysait pas son fonctionnement », de sorte que la demande de dissolution judiciaire devait être rejetée.
Cette décision est parfaitement conforme à la lettre de l’article 1844-7, 5° du Code civil et à la jurisprudence de la Cour de cassation qui subordonnent la dissolution judiciaire d’une société à la caractérisation d’une mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de ladite société. Ce dernier arrêt qui vient clore cette affaire n’en est pas moins intéressant dans la mesure où il apporte des précisions utiles sur la notion de paralysie du fonctionnement d’une société.
En effet, sans méconnaître la réalité de la mésentente profonde et persistante entre les associés de la société, les juges du fond, se livrant à une appréciation in concreto, ont relevé que les statuts de la société prévoyaient, outre une voix prépondérante au gérant en cas de partage de voix permettant le fonctionnement des organes sociaux, un droit de retrait à chacun des associés qu’aucun des demandeurs à la dissolution judiciaire n’avait exercé.
Dès lors, il apparaît que le conflit entre associés n’est de nature à justifier la dissolution judiciaire d’une société que s’il en résulte un blocage des organes sociaux ayant pour effet d’empêcher la poursuite de l’activité, sans aucune autre alternative. À cet égard, la Cour de cassation rappelle donc le caractère exceptionnel de la dissolution judiciaire, qui ne peut constituer qu’une solution de dernier recours, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.
Précisons enfin que cette solution, rendue à propos d’une société civile, est parfaitement transposable à toutes les sociétés commerciales.
À rapprocher :
- Article 1844-7 du Code civil
- Cass.ch.mixte, 16 décembre 2005, n° 04-10.986
- Cass.com., 24 juin 2014, n°13-20.044
- Cass. com., 5 avril 2018, n° 16-19.829
- Cass.3èmeciv., 17 novembre 2021, n°19-13.255
Un article rédigé par Patrice Montchaud et Nadia Knouzi, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions