La majorité comme règle essentielle d’adoption des décisions collectives au sein des sociétés par actions simplifiées

La majorité comme règle essentielle d’adoption des décisions collectives au sein des sociétés par actions simplifiées

Cass. ass., Plénière, 15 novembre 2024 – n°23-16.670 B+R

 

Ce qu’il faut retenir :

Dans une société par actions simplifiée, la loi renvoie aux statuts pour déterminer les formes et conditions dans lesquelles les décisions sont prises collectivement par les associés. Cette liberté statutaire trouve néanmoins sa limite dans un principe de bon sens, réaffirmé par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, selon lequel les décisions collectives ne peuvent être adoptées par un nombre de voix favorables inférieur à la majorité simple des votes exprimés.

 

Pour approfondir :

Réunie en sa formation la plus solennelle, la Cour de cassation a, en assemblée plénière tenue en date du 15 novembre 2024, réaffirmé avec force sa position quant aux conditions et modalités d’adoption des décisions collectives fixées librement par les statuts dans les sociétés par actions simplifiées.

L’arrêt du 15 novembre 2024 de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, publié au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation, vient ainsi casser la résistance de la Cour d’appel de Paris résultant d’un arrêt que nous avions également commenté, rendu le 4 avril 2023 après une première cassation (CA Paris, 4 avril 2023 – n°22/05320).

Pour mémoire, les statuts d’une société par actions simplifiée avaient été modifiés de sorte que les décisions collectives soient adoptées à la « majorité du tiers » des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. Lors d'une assemblée générale extraordinaire, une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription des associés avait alors, conformément aux stipulations statutaires, été adoptée avec seulement 46 % de votes favorables tandis que 54 % des voix exprimées y étaient opposées.

C’est dans ce contexte que les associés majoritaires de ladite société avaient sollicité en justice l’annulation de la résolution litigieuse ainsi que la nullité de l'article des statuts relatif aux modalités d’adoption des décisions collectives de la société. Ces derniers avaient toutefois été déboutés tant par le Tribunal de Commerce de Paris que par la Cour d’appel de Paris, qui considéraient que la résolution litigieuse avait été adoptée conformément à la « majorité du tiers » prévue par les stipulations statutaires, lesquelles exigeaient effectivement simplement la « majorité du tiers » des droits de vote des associés présents ou représentés.

 

Malgré une première cassation par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 19 janvier 2022 (Cass. com., 19 janvier 2022 – n°19-12.696), la Cour d’appel de Paris avait maintenu sa position en soutenant que l'article L. 227-9 du Code de commerce ne comporte aucune exigence relative à la majorité exigée pour l’adoption des décisions collectives et que, dès lors, les associés sont libres de déterminer, dans les statuts, les conditions de leur adoption. Ce faisant, les juges du fond avaient admis la validité de décisions collectives adoptées, conformément aux statuts, par des associés disposant de droits de vote minoritaires, le tiers seulement au cas particulier.

Il n’en est rien. L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, notamment au visa de l’article L. 227-9 du Code de commerce, désapprouve une nouvelle fois la Cour d’appel de Paris, jugeant que la liberté statutaire qui caractérise la société par actions simplifiée ne peut s'exercer que dans le respect du principe, de bon sens, selon lequel une décision relevant de la compétence de la collectivité des associés ne peut être adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix exprimées. De façon pragmatique, la Haute Juridiction souligne que toute règle contraire d’adoption des décisions collectives conduirait à ce que la collectivité des associés puisse prendre, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires. Or l’admettre, comme l’a fait la Cour d’appel de Paris, mettrait en péril le bon fonctionnement, par essence démocratique, d’un organe collégial tel qu’une assemblée d’associés.

 

C’est pourquoi, l’Assemblée Plénière réaffirme solennellement, dans un attendu de principe, qu’une décision collective d'associés, prévue par les statuts d’une société par actions simplifiée ou requise par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées et que toute clause statutaire contraire doit être réputée non écrite. De manière exceptionnelle, la Haute Juridiction va jusqu’à trancher partiellement sur le fond en annulant la résolution litigieuse relative à l'augmentation du capital de la société adoptée par la « majorité du tiers ».

Comme nous le soulignions déjà en avril 2023, cette solution doit être saluée dans la mesure où seule une règle de majorité, au sens propre du terme, nous parait protéger l’effectivité essentielle du droit de vote des associés, garantir le bon fonctionnement de la société par actions simplifiée et assurer la sécurité ainsi que la légitimité de ses actes. Une décision collective ne peut ainsi être valablement adoptée au sein d’une société que si elle recueille le plus grand nombre de voix favorables permettant de départager les partisans et les opposants à ladite décision.

Cette exigence de majorité n’enlève par ailleurs rien à la liberté qui caractérise la société par actions simplifiée, dans laquelle non seulement les décisions qui relèvent impérativement de la collectivité des associés se limitent aux seules opérations visées par l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du Code de commerce sans préjudice de la faculté d’en prévoir d’autres aux termes des statuts et que, en tout état de cause, la proportionnalité des droits de vote à la quotité du capital détenu peut être aisément aménagée.

 

À rapprocher :

  • - L. 227-9 du Code de commerce
  • - CA Paris, Pôle 5 - Chambre 9, 20 décembre 2018, n°16/25967
  • - Cass.com.,19 janvier 2022, n°19-12.696
  • - CA Paris, Pôle 5 – Chambre 8, 4 avril 2023, n°22/05320

 

Un article rédigé par Nadia Knouzi et Patrice Montchaud, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions