La durée d'une relation commerciale permettant de justifier son caractère établi
Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 19 mars 2025, n° 23-22.182
Ce qu’il faut retenir :
La Cour de cassation a confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Paris en jugeant que le caractère établi des relations commerciales pouvait se justifier notamment par leur longueur (28 ans), peu important que ces relations soient fondées sur des contrats à durée déterminée, sans clause de prorogation automatique.
Pour mémoire :
Les ruptures abusives des relations commerciales établies sont régies par l’article L.442-1, II du Code de commerce :
« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »
Pour approfondir :
Par contrat du 18 juillet 1991, une société exerçant une activité de commerce d’habillement et d’accessoires (ci-après le « Concédant ») avait concédé une licence exclusive de marques à une autre société (ci-après le « Licencié »), pour fabriquer et vendre sous ces marques des montures optiques et des lunettes solaires, en contrepartie du paiement d’une redevance.
Les relations commerciales se sont poursuivies jusqu’au dernier avenant signé le 25 juillet 2018, couvrant la période de 2019 à 2021.
L’article 2 de cet avenant prévoyait la possibilité pour l’une des parties de dénoncer le contrat de façon anticipée, dans les termes suivants :
« Les parties conviennent de prolonger le Contrat Modifié jusqu’au 31.12.2021, date à laquelle le Contrat Modifié prendra irrémédiablement fin. Chaque Partie reconnaît à l’autre la possibilité de dénoncer le Contrat Modifié de façon anticipée et sans pénalités sous réserve de notifier, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l’autre Partie, au plus tard le 31.08.2019, sa volonté de rompre le présent accord pour l’année 2019. A défaut de notification dans les conditions de forme et de délai stipulées ci-dessus par l’une des Parties, le Contrat Modifié se poursuivra aux conditions stipulées jusqu’au 31 décembre 2021. »
Sur le fondement de cet article, le Concédant a notifié, par lettre du 28 août 2019, au Licencié la rupture du contrat de licence à compter du 31 décembre 2019.
Le Concédant invoquait également le non-paiement de deux factures de la part du Licencié.
Le Licencié considérait que le délai de préavis était insuffisant et a donc assigné le Concédant en réparation du préjudice qu’il allègue avoir subi, considérant que les relations commerciales avec le Concédant étaient établies.
Par la suite, par un jugement du 4 décembre 2020, le Licencié a été mis en liquidation judiciaire.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 25 octobre 2023, a condamné le Concédant à indemniser le Licencié, via le liquidateur désigné, à hauteur de 233 093 euros au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture des relations commerciales.
Le Concédant a formé un pourvoi devant le Cour de cassation en invoquant la violation des articles 1103 du Code civil, L.442-1, II du Code de commerce et pour défaut de base légale au regard de l’article L.442-1, II, du Code de commerce.
En effet, la Concédant considérait qu’il n’y avait pas de relation commerciale établie avec le Licencié notamment car il s’agissait d’une relation précaire, constituée par une série de contrats à durée déterminée sans clause de prorogation tacite.
Le Concédant ajoute également que le chiffre d’affaires réalisé par le Licencié n’est pas une donnée à prendre en compte pour la détermination d’une relation commerciale établie.
Ainsi, la question posée à la Cour de cassation était la suivante : une relation commerciale peut-elle être considérée comme établie alors que les parties étaient liées par une succession de contrats à durée déterminée, sans clause de prorogation automatique ?
La Cour de cassation répond à cette question par l’affirmative et confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
En effet, la Cour constate qu’en l’espèce, les relations commerciales ont débuté en 1991 par un contrat de licence de marques exclusive, pour une durée de 7 ans, qui s’est renouvelé sans interruption durant 28 ans.
La Cour ajoute que certes, l’absence de clause de renouvellement tacite stipulée dans les contrats à durée déterminée est un facteur d’instabilité. Cependant, la reconduction systématique des contrats, à des conditions globalement identiques, et sans mise en concurrence durant 28 ans permettaient, raisonnablement, au Licencié d’anticiper la poursuite de leur relation au moins jusqu’au dernier avenant.
Sur ce point, la Cour relève enfin que le fait que la rupture en cours d’exécution soit juridiquement possible n’implique pas nécessairement qu’elle soit prévisible.
Concernant la forme de la résiliation, la Cour constate que le Licencié ne s’était pas acquitté de deux factures.
Cependant, aucune mise en demeure préalable n’a été adressée au Licencié, alors que des stipulations du Contrat du 5 mai 2008 prévoyaient expressément l’envoi d’une mise en demeure, laissant un délai de 30 jours au cocontractant défaillant pour se conformer au contrat.
Enfin, concernant le calcul du préjudice, la Cour approuve le raisonnement de la Cour d’appel en constatant que le Licencié disposait d’une période d’écoulement des stocks.
Toutefois, cette période n’était pas suffisante pour qu’il se réorganise.
Ainsi, la Cour juge que la période post-contractuelle d’écoulement des stocks n’a pas à être imputée sur la durée du préavis dû et que le chiffre d’affaires tiré de l’écoulement des stocks ne devait pas être pris en considération pour le calcul des dommages et intérêts réparant l’insuffisance de préavis.
À rapprocher : Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 25 octobre 2023, n° 21/18836
Un article rédigé par Johanne AMABLE du département Concurrence, Distribution, Consommation