La défense, domaine réservé ?

La défense, domaine réservé ?

 

Ce qu'il faut retenir : 

Le Président de la République vient d’annoncer la création d’un « service national volontaire » ; Les commentateurs y voient la preuve que la politique de défense constituerait le cœur même du prétendu « domaine réservé » du Chef de l’Etat. Qu’en est-il réellement ?

L’article 5 de la Constitution dispose que le Président de la République « est le garant de l’indépendance nationale ; de l’intégrité du territoire », l’article 15 précise qu’il est « le chef des armées » et qu’il « préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale ».

Cependant, l’article 20 de la Constitution prévoit que c’est le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » et qu’il « dispose de l’administration et de la force armée »  Quant à l’article 21, il énonce que le Premier ministre ; qui « dirige l’action du gouvernement » est « responsable de la défense nationale ». Au demeurant, l’ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense rappelle que la politique de défense est définie en conseil des ministres.

Pour approfondir : 

De la combinaison de ces textes et de la pratique, il résulte sans conteste qu’en dehors des périodes dites de cohabitation, la prééminence du Chef de l’Etat en matière de défense est patente. Mais on doit rappeler que la qualité de « chef des armées » est, en elle-même de peu de portée. Elle est attachée à la fonction présidentielle depuis 1875 et si Albert Lebrun fut « chef des armées », on n’a pas souvenir que le succès des armes en fut mieux assuré. La vérité institutionnelle est que le Président de la République, même hors période de cohabitation, ne peut rien en matière défense s’il n’a l’assentiment du Premier ministre, « responsable de la défense nationale » et, en cette qualité, détenteur unique de la capacité de mise en œuvre des décisions arrêtées en conseil de défense.

Les cohabitations successives que le régime a connues depuis 1986 ont montré que la coopération des deux membres de l’exécutif est indispensable dans le domaine de la défense et que chacun d’eux dispose d’un pouvoir de blocage. C’est ainsi qu’au moment  de l’affaire du Rwanda, le Premier ministre s’est opposé à l’expédition de type « néo-colonial » envisagée par le Président de la République et son état-major particulier et a imposé la mission humanitaire dite « Turquoise » sous mandat de l’ONU. A l’inverse, le Premier ministre d’alors souhaitait que les essais nucléaires soient repris sans tarder, ce à quoi le Chef de l’Etat s’opposait vigoureusement. Ces essais ne furent pas repris et il fallut attendre l’élection de Jacques Chirac pour qu’ils le soient.

Pour le dire autrement, la compétence en matière de défense nationale est une compétence partagée beaucoup plus qu’un domaine réservé. Le Chef de l’Etat ne peut rien décider de concret sans l’accord du Premier ministre ; ce dernier ne peut rien entreprendre d’important sans le « nihil obstat » du Chef de l’Etat.

Il est donc excessif de considérer le politique de défense comme relevant d’un prétendu domaine réservé du Président de la République. La pratique se révèle plus conforme à la combinaison des textes : il s’agit d’un domaine de compétence partagée. Si le partage est parfois inégal, la responsabilité en incombe au seul Premier ministre.

Un article extrait de La Lettre des Affaires Publiques - Décembre 2025