Exonérations fiscales et droit européen des aides d'Etat: la cour de justice précise les conditions d'appréhension de la sélectivite des avantages fiscaux

Exonérations fiscales et droit européen des aides d'Etat: la cour de justice précise les conditions d'appréhension de la sélectivité des avantages fiscaux

 

La confrontation des impôts nationaux au droit européen des aides d’Etat est à l’origine d’une importante insécurité juridique pour les Etats membres, les contribuables et leurs concurrents. En vue d’éviter que des mesures fiscales introduisent des distorsions de concurrence entre les opérateurs, la Commission européenne et la Cour de justice ont développé depuis vingt-cinq ans une pratique et une jurisprudence permettant de soumettre les aides d’Etat sous forme fiscale au régime prévu par l’article 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (obligation de notification préalable des projets d’aides, de standstill et d’obtention d’une autorisation préalable, à défaut de quoi la Commission européenne peut ordonner la récupération de l’aide, ce qui se traduit en matière fiscale par l’obligation de payer un impôt qui n’était légalement pas dû). En amont, l’identification des mesures fiscales susceptibles d’être qualifiées d’aides d’Etat au sens de l’article 107 du même Traité est donc essentielle.

Dans le cas des régimes d’aides, cette question a donné lieu à une jurisprudence complexe. Il n’est en effet pas évident que des mesures collectives puissent perturber la concurrence au profit de « certaines entreprises ou certaines productions ». Autrement dit, n’est-il pas paradoxal que des mesures générales puissent être considérées comme sélectives ? Mais inversement, n’existe-t-il pas un risque que des régimes fiscaux soient des mesures faussement générales ?

Dans un arrêt de grande chambre du 29 avril 2025 (CJUE, 29 avril 2025, aff. C-453/23, E. sp. z o.o. c/ Prezydent Miasta Mielca), la Cour de justice a répondu à ces questions en appliquant d’une part sa jurisprudence la plus récente. Au sujet d’une exonération concernant les impôts fonciers polonais, elle a rappelé qu’un régime fiscal n’est sélectif que s’il déroge, compte-tenu de ses objectifs, au système normal de taxation. Et elle a confirmé qu’à cet effet, les objectifs du système fiscal de taxation sont déterminés par l’Etat membre concerné, en se référant à son seul droit national (en dernier lieu, V. par exemple l’affaire « Apple » : CJUE, 10 septembre 2024, Commission c/ Irlande, aff. C-465/20 P).

Cela étant, il convient d’éviter qu’un avantage fiscal soit conçu pour ne profiter de facto qu’à « certaines entreprises ou certaines productions », et que la conséquence inéluctable d’un régime fiscal soit de ne profiter, de manière discriminatoire, qu’à des bénéficiaires préalablement identifiés. Aussi la Cour de justice a-t-elle d’autre part réactivé la jurisprudence « Gibraltar » (CJUE, 5 novembre 2011, Commission et Espagne c/ Government of Gibraltar et Royaume-Uni, aff. jointes C-106/09 P et C-107/09 P) qu’elle semblait avoir précédemment abandonnée.

Dans l’arrêt du 29 avril 2025, la Cour a alors jugé qu’en principe, une exonération générale et abstraite ne constitue pas une aide d’État car elle ne confère pas un avantage sélectif. Puis elle a retenu que l’exonération en litige ne semblait pas être liée aux caractéristiques spécifiques des entreprises bénéficiaires ou de leurs activités, et qu’elle ne paraissait pas faire partie d’un système manifestement discriminatoire. Basée sur un critère neutre, elle s’appliquait à divers acteurs, y compris des entreprises de tailles et secteurs différents, ainsi qu’à des entités non économiques. Et elle poursuivait des objectifs budgétaires et environnementaux.

Ce faisant, la Cour de justice a achevé l’unification de sa jurisprudence en matière d’aides d’Etat, ce qui est source de sécurité juridique. Mais en réintroduisant la nécessité de vérifier les conséquences inéluctables des régimes d’aides et en montrant toutes les subtilités que cela implique, elle a peut-être introduit de nouvelles incertitudes dans le chef des bénéficiaires d’allègement fiscaux.

 

Un article issu de La Lettre de la Fiscalité - Mai 2025