Exclusivité territoriale et usage d’internet

Exclusivité territoriale et usage d’internet

CA Paris, 5-4, 2 octobre 2024, 23/09584

Ce qu’il faut retenir :

Un distributeur peut être condamné pour avoir procédé à des ventes actives sur le territoire exclusif d’un distributeur concurrent commercialisant les mêmes produits.

L’usage d’un site internet peut également être interdit s’il permet de réaliser des ventes actives sur le territoire d’un distributeur concurrent, sauf s’il s’agit de ventes passives.

 

Pour approfondir :

Dans cette affaire, un fabricant a conclu avec deux distributeurs deux contrats de distribution exclusive : l’un pour la commercialisation de ses produits en France (société A) et l’autre pour la commercialisation de ses produits en Algérie et en Tunisie (société B).

La société A, ayant constaté la vente des produits du fabricant sur le territoire français par la société B, elle l’a assigné en référé.

Par ordonnance du 7 juin 2017, le Tribunal de commerce de Lyon a fait droit aux demandes de la société A et ordonné à la société B de cesser toute publicité, démarchage, communication et commercialisation des produits du fabricant sur le territoire français sous astreinte de 500 euros par infraction constatée.

Par jugement du 17 avril 2018, confirmé par l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 13 décembre 2018, la société A a obtenu la liquidation de l’astreinte et a procédé à l’exécution forcée du jugement en saisissant le compte bancaire de la société B.

En parallèle, la société B a assigné la société A pour être autorisée à utiliser son site internet pour la communication et la commercialisation des produits du fabricant. A titre reconventionnel, la société A reproche à la société B d’avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Par jugement du 4 octobre 2019, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a fait droit à la demande de la société B et a considéré qu’elle n’avait commis aucune faute et aucun acte de concurrence déloyale.

La société A a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 28 octobre 2021, la cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement du 4 octobre 2019 et condamné la société B.

La société B a formé un pourvoi et les affaires ont été jointes.

Par arrêt du 22 mars 2023, la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon et renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Paris.

La Cour d’appel de Paris a ainsi été appelée à se prononcer sur (1) l’application de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et (2) la concurrence déloyale en matière de vente active et de vente passive.

 

1. Sur l’application de l’article 101 du TFUE

Tout d’abord, les juges rappellent que l’article 101 du TFUE ne s’applique que si la pratique en cause est susceptible d’affecter le commerce entre Etats membres.

Pour cela, il convient de démontrer (i) l’existence d’un courant d’échanges entre Etats membres portant sur les produits en cause, (ii) l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et (iii) le caractère sensible de cette affectation.

Or le fait que la pratique soit commise sur le territoire d’un seul Etat membre est sans incidence. En effet, la Cour reconnait qu’« une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un Etat membre ayant, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, induit une forte présomption d’affection du commerce entre les Etats membres qui ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire ».

Dans le cas d’espèce, le contrat de distribution conclu par la société A prévoit une clause d’exclusivité sur le territoire français, étant précisé que les produits de ce fabricant sont présents dans le monde entier et qu’il a conclu des contrats de distribution dans d’autres Etats membres.

Sans surprise, les juges ont conclu à l’application de l’article 101 du TFUE, retenant que le contrat de distribution avec la société A était un accord vertical et que l’accord d’exclusivité du contrat de distribution était susceptible d’affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres.

 

2. Sur la concurrence déloyale en matière de vente active et de vente passive

L’article 2 du règlement d’exemption n°330/2010, applicable à l’espèce, prévoit des dérogations à l’interdiction des ententes anticoncurrentielles prévue à l’article 101 du TFUE (règlement européen d’exemption par catégorie).

A l’inverse, l’article 4 du règlement d’exemption n°330/2010 prévoit des exclusions à ses dérogations. Par exemple, l’exemption par catégorie ne s’applique pas en cas de restriction des ventes actives sur certains territoires (article 4, b) dudit règlement) mais pourrait s’appliquer en cas d’interdiction des ventes passives (article 4, b) i) dudit règlement).

En l’espèce, la société A soutient que la société B a commis des actes de concurrence déloyale par l’utilisation d’un site internet et par des démarchages actifs de clients sur le territoire français.

à Sur l’usage du site internet, la Cour a jugé que cette utilisation n’a pas généré des ventes actives et n’était donc pas interdite.

En effet, les « ventes actives » peuvent être définies par l’action volontaire du vendeur visant à inciter le client à l’achat, alors que les « ventes passives » peuvent se définir par les ventes non sollicitées par le vendeur et qui font suite à des demandes spontanées de clients.

D’après la Cour, la société B avait un site internet de présentation. Or ce site ne permettait pas la prospection active de la clientèle de la société A sur le territoire français.

Par ailleurs, la mention du mot « France » dans le nom de domaine et la rédaction du site en français ne sont pas non plus des éléments déterminants pour la Cour permettant de démontrer la captation active de la clientèle française des produits du fabricant.

A noter que le fabricant était en droit d’interdire ces procédés mais ce n’était pas le cas dans cette affaire…

à Sur le démarchage actif, la Cour n’a pas retenu la même solution et a reconnu la faute de concurrence déloyale.

En l’espèce, la société A, sur qui pèse la charge de la preuve, a fourni des documents écrits attestant du démarchage actif de la société B sur le territoire français.

Dans ces conditions, la Cour a retenu que les agissements de la société B étaient constitutifs de fautes de concurrence déloyale de nature à engager sa responsabilité délictuelle.

Pour chiffrer le préjudice la société A, les juges ont notamment accepté - en l’absence de démonstration contraire de la société B - de reprendre le chiffre d’affaires réalisé par la société B bien que ce chiffre d’affaires n’ait pas été entièrement généré par les ventes actives, ce qui revient finalement à présumer le caractère actif des ventes…

 

En conséquence, seules les clauses qui restreignent les ventes actives à l’extérieur du territoire sont valables, ne sont donc pas valables les clauses qui restreignent les ventes passives à l’extérieur du territoire.

La violation de l’interdiction contractuelle des ventes actives peut ainsi constituer une faute délictuelle constitutive de concurrence déloyale.

 

A rapprocher : CA Lyon, 6e ch., 13 décembre. 2018, n° 18-04117.

 

Un article rédigé par Anne Qin du département Distribution, Concurrence, Consommation