De la fin de non-recevoir à l'incompétence : confirmation de la sanction liée à la méconnaissance de la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence

De la fin de non-recevoir à l'incompétence : confirmation de la sanction liée à la méconnaissance de la spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence

Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-15.842, FS-B

 

Ce qu'il faut retenir :

La Cour de cassation confirme que la saisine d’une juridiction non spécialisée pour connaître des litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence est sanctionnée par une incompétence, exit la fin de non-recevoir.

Pour approfondir :

Seules les juridictions spécialisées peuvent connaître des litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence. Il s’agit de huit tribunaux de commerce, huit tribunaux judiciaires et de la Cour d’appel de Paris, laquelle est seule compétente pour connaître des appels contre les jugements de ces juridictions spécialisées.

La Cour de cassation clarifie, une nouvelle fois, sa position. Selon elle, la règle d’ordre public découlant de l’application combinée des articles L. 442-6, III (devenu L. 442-4, III), et D. 442-3 (devenu D. 442-2) du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître des pratiques restrictives de concurrence institue une règle de compétence d’attribution exclusive.

En conséquence, la Haute juridiction confirme que la Cour d’appel de Paris est seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions spécialisées.

En l’espèce, une société, qui avait bénéficié de facilités de paiement pour ses filiales auprès d’une banque et conclu des contrats d’affacturage, reprochait à la banque et à l’affactureur de l’avoir maintenue, ainsi que ses filiales, en situation de dépendance économique.

Après l’appel interjeté devant la Cour d’appel de Bordeaux, celle-ci avait déclaré l’appel irrecevable en se fondant sur un défaut de pouvoir juridictionnel, au motif que seule la Cour d’appel de Paris était compétente pour connaître des règles relatives aux pratiques restrictives de concurrence.

Par cet arrêt, publié au bulletin, la Cour confirme le revirement qu’elle avait opéré deux ans plus tôt : celle-ci retient, une fois de plus, que le défaut de spécialisation des juridictions est sanctionné par une incompétence (et non plus une fin de non-recevoir) (Cass. com., 18 octobre 2023, n°21-15.378).

Le non-respect de cette règle de compétence était sanctionné auparavant par une fin de non-recevoir, laquelle était relevée d’office par le Juge.

Cette solution antérieure était source d’insécurité juridique notamment pour les plaideurs.

En effet, en cas de fin de non-recevoir, il faut noter les conséquences suivantes :

- L’absence de renvoi devant le juge compétent : contrairement à une exception d’incompétence, la fin de non-recevoir empêchait tout renvoi devant la juridiction spécialisée compétente ;

- L’absence d’interruption de la prescription : le demandeur, débouté pour irrecevabilité, risquait de se heurter à la prescription.

Au surplus, la jurisprudence antérieure ne « répondait pas aux objectifs de bonne administration de la justice » et « était en contradiction avec l'article 33 du code de procédure civile dont il résulte que la désignation d'une juridiction en raison de la matière par les règles relatives à l'organisation judiciaire et par des dispositions particulières relève de la compétence d'attribution. ».

Par ailleurs, nous rappelons que l’exception d’incompétence doit être soulevée, à peine d’irrecevabilité, in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond et fin de non-recevoir (article 74 du Code de procédure civile).

La juridiction incompétente pourra alors soit sursoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction spécialisée, soit renvoyer l’affaire pour le tout devant celle-ci.

L’exception d’incompétence soulevée devant la juridiction non spécialisée sera interruptive de prescription et ledit juge pourra relever son incompétence - il ne s’agit que d’une simple faculté pour le Juge.

En effet, le Juge peut se déclarer incompétent lorsque la règle violée est d’ordre publique – tel est le cas en l’espèce - ou lorsque le défendeur ne comparaît pas (article 76 du Code de procédure civile).

En revanche, devant la Cour d’appel et la Cour de cassation, l’incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française (article 76 du même code). Ainsi, en appel, une Cour non spécialisée ne peut relever d’office son incompétence au profit de la Cour d’appel de Paris que dans les cas limités ci-avant. Par conséquent, si l’intimé ne soulève pas l’exception d’incompétence, la Cour d’appel non spécialisée pourrait être amenée à statuer sur le fond malgré son incompétence matérielle.

En outre et de manière générale, s’il est admis qu’il n’est pas possible de désigner une juridiction non spécialisée si la matière relève de la compétence d’une juridiction spécialisée, il est cependant envisageable d’ajuster la compétence territoriale sous réserve que celle-ci ne soit pas d’ordre public. Par exemple, les parties pourraient désigner au sein du contrat que la juridiction territorialement compétente (y compris en cas de pratiques restrictives de concurrence) est le Tribunal de commerce de Marseille, quand bien même le Tribunal de commerce de Paris serait en principe compétent – étant précisé que les Tribunaux de commerce cités sont nouvellement désignés « Tribunal des Activités Economiques ». En effet, les deux juridictions sont spécialisées pour statuer en la matière.

In fine, en substituant la sanction de la fin de non-recevoir par celle de l’incompétence, la Cour de cassation vise à réduire l’insécurité juridique pour les plaideurs, en première instance, comme en appel, s’agissant des litiges en matière de pratiques restrictives de concurrence.

À rapprocher :
Cass. com. 18 octobre 2023, n°21-15.378 ;
CA Lyon, 22 octobre 2024, n°24/00068.

Un article rédigé par Fanny BARACH du département Concurrence, Distribution, Consommation