Contentieux des clauses abusives : appréciation du délai de mise en demeure raisonnable avant déchéance du terme

Contentieux des clauses abusives : appréciation du délai de mise en demeure raisonnable avant déchéance du terme

Cass. civ. 1ère, 29 mai 2024, n°23-12.904

 

Ce qu’il faut retenir :

Dans cet arrêt publié au Bulletin officiel, la Cour de cassation applique l’article L. 132-1 du Code de la consommation (dans sa version alors en vigueur), relatif aux clauses abusives, à la clause d’un contrat de prêt immobilier qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable. Une telle clause crée en effet un déséquilibre significatif au détriment du consommateur.

 

Pour approfondir :

En juillet 2011, une banque a consenti à un consommateur un prêt immobilier.

Des échéances sont demeurées impayées, de sorte que le 30 mars 2018, la banque a mis l’emprunteur en demeure de régulariser la situation dans un délai de quinze jours.

Ce délai s’étant écoulé sans que l’emprunteur ne verse les sommes dues, la banque a prononcé la déchéance du terme.

En effet, le contrat de prêt prévoyait qu’en cas de défaillance dans le remboursement des sommes dues par l’emprunteur, le prêteur pourra se prévaloir de l’exigibilité immédiate du prêt en capital, intérêts et accessoire, sans qu’il soit besoin d’aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.

Par un arrêt du 5 janvier 2023, la Cour d’appel de Metz a donné raison à la banque et a fait application de la clause litigieuse. Elle a ainsi condamné l’emprunteur à régler la totalité des sommes dues en application du contrat de prêt immobilier, avec intérêts au taux contractuel de 4,05%.

L’emprunteur a formé un pourvoi en cassation, contestant l’application de la clause sans examen de son caractère abusif, en violation de l’article L. 132-1 du Code de la consommation. (dans sa rédaction antérieure à la réforme de 2016).

Dans son arrêt du 29 mai 2024, la Cour de cassation a donné raison à l’emprunteur et considère que la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur.

Pour cela, la Cour de cassation commence par rappeler les dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, lequel s’applique aux contrats conclus entre un professionnel et non-professionnel ou consommateur.

L’application de ce texte à un contrat de prêt bancaire n’est pas nouvelle et n’est pas discutée ici. Elle témoigne une nouvelle fois de la volonté du législateur comme du juge de protéger le consommateur, partie faible dans ce type d’opération.

Ensuite, la Cour de cassation cite la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle est abondante sur ce sujet.

 

Elle rappelle les critères désormais bien établis selon lesquels il incombe aux juridictions nationales, pour examiner si une telle clause est abusive, d’évaluer :

  • - le caractère essentiel de l’obligation inexécutée par le consommateur,
  • - la gravité de l’absence d’exécution au regard de la durée et du montant du contrat de prêt ;
  • - le caractère dérogatoire au droit commun applicable sans une telle clause ;
  • - l’existence de moyens « adéquats et efficaces » permettant au consommateur de remédier aux effets de cette exigibilité.

Ces critères ne doivent être compris ni comme étant cumulatifs, ni comme étant alternatifs, mais comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné. Il s’agit donc d’un faisceau d’indices.

 

En l’espèce, la Cour de cassation considère que le délai de quinze jours imparti par la banque n’est pas suffisant.

Ainsi, la clause du contrat de prêt crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur, lequel se voit exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.

Cette décision illustre la nécessité pour les banques d’être vigilantes quant aux clauses relatives à la déchéance du terme au sein de leurs contrats de prêt.

La jurisprudence européenne et nationale en matière de clauses abusives continue donc de se préciser, imposant aux banques une vigilance accrue dans la rédaction de leurs contrats.

La protection des consommateurs demeure une priorité, nécessitant des ajustements constants des pratiques bancaires. Cette dynamique complexe influence directement la validité des clauses de déchéance du terme, rendant nécessaire une approche plus équilibrée et réfléchie.

 

A rapprocher : Cour d’appel de Versailles, 29 juin 2023 nº 23/00740 ; Cour d’appel de Colmar, 11 décembre 2023, RG 23/00903 

 

Un article rédigé par Julie Astruc du département Concurrence, Distribution, Consommation