Constitue une faute de concurrence déloyale le non-respect de la règlementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT)
Cass. Com., 27 septembre 2023, n°21-21.995
Ce qu’il faut retenir :
L’entreprise qui ne respecte pas ses obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (articles L.561-1 et suivants du Code monétaire et financier), bénéficie d’un avantage indu par rapport à ses concurrents, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale.
Pour approfondir :
Dans cette affaire, une société spécialisée dans la distribution de cartes bancaires prépayées (« société demanderesse ») a assigné en justice une société concurrente (« société défenderesse ») devant le Tribunal de commerce de Marseille afin d’obtenir le dépôt de comptes sociaux sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
En réponse, la société défenderesse soutient que la société demanderesse n’a pas respecté la règlementation bancaire en vigueur et que cela constitue une concurrence déloyale lui causant un préjudice. Elle sollicite donc, à titre reconventionnel, la communication de pièces comptables et administratives de la société demanderesse afin de chiffrer ce préjudice.
Le Tribunal de commerce de Marseille, statuant en référé, a débouté la société demanderesse de ses demandes et fait droit aux demandes de la société défenderesse.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé l’ordonnance du juge des référés en faisant droit aux demandes de la société défenderesse et en condamnant, sous astreinte, la société demanderesse à communiquer les documents comptables.
La société demanderesse s’est pourvue en cassation. L’arrêt du 27 septembre 2023, qui a été publié, nous apporte une précision importante.
En principe, la violation par une entreprise de la règlementation en matière de LCB-FT n’engage pas sa responsabilité civile. En effet, cette obligation ne vise pas à protéger des intérêts privés mais l’intérêt général.
C’est d’ailleurs ce que soutenait la société demanderesse devant les juges : « cette action étant vouée à l’échec dans la mesure où la violation de ces obligations, à la supposer avérée, n’est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation au profit d’un tiers ».
Néanmoins, les juges ont considéré qu’en matière de concurrence déloyale, l’entreprise qui n’a pas respecté la règlementation en matière de LCB-FT pouvait engager sa responsabilité civile à l’égard d’une entreprise concurrente.
D’après la Cour de cassation, le respect par une entreprise de ses obligations de LCB-FT prévues aux articles L.561-1 et suivants du Code monétaire et financier représente un coût financier non négligeable (mise en place d’une cartographie des risques, identification des personnes exposées, évaluation des mesures de vigilances, etc).
Or l’entreprise concurrente qui s’affranchit de cette règlementation se retrouve dans une position de concurrence déloyale car elle bénéficie d’un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents.
La solution de la Cour de cassation pourrait avoir des conséquences majeures, puisque les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière de LCB-FT visées aux articles L.561-1 et suivants du Code monétaire et financier pourront désormais voir leur responsabilité civile engagée à l’égard de leurs concurrents.
En parallèle de cet apport, l’arrêt du 27 septembre 2023 rappelle également une règle classique, à savoir qu’il n’est pas possible d’enjoindre une partie à établir des documents qu’elle ne détient pas en vue de l’instruction d’un procès (mesure d’instruction in futurum).
A rapprocher :
- Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 1er juillet 2021, n°20/11649
Un article rédigé par Anne Qin du département Distribution, Concurrence, Consommation