Les cessions d’actions effectuées en violation des clauses statutaires d’exclusion relèvent-elles de la nullité prévue par l’article L. 227-15 du Code de commerce ?
Cass.com., 21 juin 2023 – n° 22-12.045 F-B
Ce qu’il faut retenir :
Aux termes de l’article L. 227-15 du Code de commerce, toute cession d’actions effectuée en violation des clauses statutaires est nulle. La Haute Juridiction vient toutefois de préciser que la nullité prévue par ledit article vise uniquement à sanctionner la violation de toute clause statutaire encadrant la cession d'actions librement consentie par leur titulaire, excluant ainsi son application aux règles résultant des clauses d’exclusion.
Pour approfondir :
La société par actions simplifiée se caractérise par la grande liberté laissée aux associés pour organiser, dans les statuts de la société, les modalités de son fonctionnement. Ainsi, il est possible d’insérer dans les statuts d’une telle société des clauses encadrant le transfert des actions, telles que des clauses de préemption, d’agrément ou d’inaliénabilité. Afin de leur donner une pleine efficacité, l’article L. 227-15 du Code de commerce énonce expressément que toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle. Dans un arrêt de cassation en date du 21 juin 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est toutefois venue préciser que les dispositions de l’article L. 227-15 précité n’étaient pas applicables aux clauses d’exclusion statutaires.
En l’espèce, un litige opposait deux associés d’une société d'exercice libéral par actions simplifiée dont l’un était également président de cette dernière. Les statuts de ladite société comportaient notamment une clause d’exclusion visant à sanctionner les manquements aux obligations professionnelles. Par ailleurs, un pacte entre associés avait été conclu prévoyant qu’ « en cas de non-respect de l'un quelconque de ses engagements par l'une des parties, l'autre peut lui adresser une mise en demeure aux fins de respecter ses engagements et qu'à défaut de régularisation dans un délai de trente jours, la partie fautive s'engage irrévocablement, au choix de la partie victime de la défaillance, soit à acquérir la totalité des actions de la partie victime de la défaillance, soit à lui céder la totalité de ses propres actions ». Invoquant des manquements aux obligations résultant du pacte, un associé a assigné l’associé-président aux fins de le voir condamner à lui céder ses actions en application des stipulations dudit pacte.
Par un arrêt du 16 décembre 2021, la Cour d’appel de Douai a infirmé le jugement rendu en première instance et a débouté l’associé de ses demandes jugeant que les stipulations du pacte rappelées ci-avant devaient être déclarées nulles en ce qu’elles permettaient l'exclusion d'un associé dans des hypothèses et selon un processus méconnaissant la clause d’exclusion prévue par les statuts de la société. Or, en application de l’article L. 227-15 du Code de commerce, toute cession intervenue en violation d’une clause statutaire est nulle.
Par un arrêt en date du 21 juin 2023 publié au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Douai sur ce point, au visa de l’article L. 227-15 du Code de commerce, reprochant aux juges du fond d’en avoir fait une fausse application considérant que ledit article « ne régissant pas l'exclusion d'un associé et la cession forcée de ses actions qui en résulte, la nullité qu'il prévoit vise uniquement à sanctionner la violation de toute clause statutaire ayant pour objet la cession d'actions librement consentie par leur titulaire ». En conséquence, la Haute Juridiction en conclut, dans un attendu de principe, que la nullité prévue par l’article L. 227-15 du Code de commerce n’est pas encourue en cas de cession réalisée en violation d’une clause d’exclusion statutaire. Cette solution apporte ainsi un éclairage intéressant quant au champ d’application de l’article L. 227-15 du Code de commerce, rédigé en termes larges et généraux qui ne semblaient pas frapper de nullité les seules cessions d’actions intervenues en violation des clauses statuaires ayant pour objet les cessions de gré à gré.
Par ailleurs, la Chambre commerciale a, en l’espèce, analysé les stipulations litigieuses du pacte en une promesse unilatérale de vente des actions consentie sous la condition suspensive de la réalisation d'un événement qu'elle prévoit, ne contrevenant pas à la clause d’exclusion contenue dans les statuts de ladite société. À cet égard, la solution nous paraît opportune dans la mesure où une promesse unilatérale de vente doit effectivement être vue comme un mécanisme distinct dont l’objet est différent des clauses d’exclusion statutaires.
À rapprocher :
Article L. 227-13 du Code de commerce
Article L. 227-14 du Code de commerce
Article L. 227-15 du Code de commerce
Article L. 227-16 du Code de commerce
Un article rédigé par Nadia Knouzi et Patrice Montchaud, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions