Attention aux termes de l’objet social d’une société civile immobilière
Cass.civ.3ème, 2 mai 2024 – n° 22-24.503 FS-B
Ce qu’il faut retenir :
La mise à disposition à titre gratuit par une société civile d'un immeuble lui appartenant au profit d’un de ses associés n'entre pas dans son objet social faute d'y être expressément mentionnée. Cette mise à disposition ne peut dès lors être décidée par le gérant seul et doit être préalablement autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts.
Pour approfondir :
L’arrêt du 2 mai 2024 de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, publié au Bulletin, vient rappeler la rigueur du principe édicté à l’article 1849 du Code civil qui énonce que, dans les rapports avec les tiers, le gérant d’une société civile n’engage la société que par les actes qui relèvent de son objet social.
En l’espèce, le litige opposait deux ex-concubins associés d’une société civile immobilière propriétaire d’un immeuble. À la séparation du couple, la société civile représentée par son gérant-associé minoritaire a consenti au profit de ce dernier une mise à disposition à titre gratuit d’une partie de l’immeuble dont la société civile était propriétaire.
À la suite de la révocation du gérant, la société civile a demandé la nullité du contrat de mise à disposition conclu par le gérant révoqué. Aux termes d’un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes, ledit contrat est déclaré nul au considérant que l'objet social de la société civile ne précisait pas expressément que les biens de cette dernière pouvaient faire l’objet d’une mise à disposition à titre gratuit au profit de ses associés. L’associé minoritaire s’est alors pourvu en cassation.
La Haute Juridiction a toutefois confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes jugeant que « lorsque les statuts d'une société civile n'indiquent pas dans l'objet social la faculté de mettre un immeuble dont elle est propriétaire à la disposition gratuite des associés, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul et doit être autorisée par l'assemblée générale des associés, statuant dans les conditions prévues pour la modification des statuts ». Au cas particulier, l’objet social de la société n’incluant pas explicitement la mise à disposition à titre gratuit de l’immeuble lui appartenant au profit de ses associés, le gérant a excédé ses pouvoirs et n’a pu valablement engager la société.
Si la solution de la Cour de cassation peut paraître rigoureuse, celle-ci est parfaitement conforme aux dispositions de l’article 1849 du Code civil et à l’article 1852 du même code, qui dispose que les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les stipulations statutaires ou, en l'absence de telles stipulations, à l'unanimité des associés. Bien que publié au Bulletin, ce dernier arrêt du 2 mai 2024 illustre la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière. Rappelons en effet que cette dernière avait par ailleurs déjà jugé à plusieurs reprises que la vente d'un immeuble n'entrait pas dans l'objet social d’une société civile lorsque celui-ci renvoyait simplement à la propriété de biens immobiliers. D’aucuns ont pourtant fait valoir que la propriété s’entendait notamment du droit d’user et de disposer. Il n’en est rien. Un objet social défini de manière générale, imprécise ou lacunaire peut ainsi se révéler extrêmement préjudiciable et emporter la nullité de tout acte n’entrant pas dans le champ de l’objet social ainsi défini. Cette rigueur se justifie néanmoins au regard de la responsabilité illimitée qui pèse sur les associés d’une société civile.
Il ne pourra dès lors qu’être recommandé de préciser et expliciter autant que possible l’objet social des sociétés civiles, le cas échéant, de formaliser une décision collective des associés lorsque l’intérêt social l’exige ou que la nature de l’opération envisagée le justifie.
Soulignons enfin que cette solution rendue à propos d’une société civile n’est pas transposable aux sociétés à responsabilité limitée et aux sociétés par actions dans lesquelles les associés ne supportent, par l’effet de la loi, les risques et les responsabilités qui en découlent qu’à hauteur de leurs apports.
A rapprocher : Article 1849 du Code civil ;Article 1852 du Code civil ; Cass.civ.3ème, 5 novembre 2020, n°19-21.214 ; Cass.civ.3ème, 23 novembre 2023, n°22-17.475
Un article rédigé par Nadia Knouzi et Patrice Montchaud, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions