La RSE porte l’idée d’une entreprise « citoyenne, dont l’activité au-delà des contraintes légales peut et doit intégrer une dimension éthique dans les domaines sociaux et environnementaux » (1). Elle s’est ainsi développée comme un « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, éthiques, environnementales dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes » (2).
Au sens strict, cette notion se distingue de la compliance en ce qu’elle est composée des obligations qu’une entreprise accepte de se donner à elle-même, au-delà des exigences légales, là où la compliance a pour but de faire respecter les obligations imposées à l’entreprise : légales et règlementaires, mais également toute autre norme professionnelle ou émanant d’organismes dotés d’un pouvoir réglementaire et/ou de contrôle (3).
Les deux notions ont cependant un but commun : rendre l’entreprise vertueuse, l’empêcher de commettre ou de participer, volontairement ou non, à des comportements nocifs, contraires à l’intérêt commun, ou d’en subir les conséquences.
Au sens large, la « responsabilité sociétale de l’entreprise », impliquant également les préoccupations éthiques, peut donc couvrir la totalité des objectifs (RSE au sens strict), règles et procédures (compliance), volontaires comme imposés, concourant à ce but vertueux.
Entendu ainsi - à tout le moins dans cet article -, un écosystème de règles, de la soft law aux lois (loi Sapin II, loi sur le devoir de vigilance), nationales comme à vocation internationale (ex : UKBA, FCPA, etc.), plus ou moins ciblées (avec seuil comme la loi Sapin II, ou sans seuil pas ex. RGPD) se tisse et s’étend des grandes entreprises et des grands groupes vers leurs partenaires, sous-traitants, co-traitants, fournisseurs ou prestataires, jusqu’au PME et ETI (4).
La RSE n’est donc pas qu’une préoccupation des grands groupes et des grandes entreprises mais bien une préoccupation de l’ensemble des acteurs de l’économie.
Chaque entreprise doit aujourd’hui développer une stratégie de management des risques liés à cette responsabilité, dont le risque à notre sens principal : le risque pénal.
En effet, la société non vertueuse se met doublement en risque vis-à-vis du pénal : risque d’être une victime ; risque d’être un auteur d’infraction.
A. Le risque d’être une victime, parfois mauvaise
L’entreprise qui ne mettrait pas en place des systèmes de contrôles internes et de bonnes pratiques, s’expose à subir des infractions.
Ainsi, l’entreprise qui n’aurait pas bien établi la connaissance d’un tiers contractant (due diligences), la formation de ses salariés susceptibles de manier des fonds, ou de bonnes pratiques telles que la double signature pour des versements au-delà d’un certain montant, pourrait devenir la proie des fameuses fraudes au président (5), au changement de RIB fournisseur (6), ou d’entreprises prédatrices qui sous couvert de partenariat visent à s’approprier ses informations stratégiques (7).
Mais la RSE, telle que définie ici, est aussi un mécanisme plus profond vis-à-vis du droit pénal : celui de la prévention de la commission des infractions liées au monde économique, mécanisme en quelque sorte ici « délégué » par la force publique, et sous son contrôle, aux acteurs du marché eux-mêmes : les entreprises.
Il en résulte que là où habituellement une société pouvait ne pas être inquiétée, voire pouvait se prévaloir du statut de victime, celle-ci n’acquiert plus automatiquement, ou plus totalement, cette qualité, que si elle se révèle « conforme » : les manquements à la mise en place des process et objectifs RSE tendant désormais à être considérés comme révélateurs d’une incurie fautive, d’un défaut dans cette obligation de prévention spécifique, dont découlent des conséquences négatives.
Ainsi, malgré le rejet traditionnel de tout partage de responsabilité au détriment de la victime face à une infraction intentionnelle, la non-conformité, ou le fait de « fermer les yeux » sur une situation non conforme peuvent désormais être considérés comme preuve de la faute de la personne morale diminuant son droit à être indemnisée (8).
La société a donc tout « intérêt », y compris financier, a respecter ses objectifs et obligations découlant de la RSE telle que définie ci-dessus. Et de mauvaise victime à auteur, il n’y a qu’un pas, qui commence à être franchi.
B. Le risque d’être auteur d’infraction
Pour mémoire, traditionnellement la responsabilité pénale d’une société est engagée par les agissements délictuels de ses « organes ou représentants » (9), formule incluant ses dirigeants légaux, comme les titulaires d’une délégation de pouvoirs (10) dès lors qu’ils ont été commis « pour son compte » (11).
Dans ce cadre, la commission par le dirigeant d’une société d’une infraction violant les principes du RSE (par ex. corruption, discrimination…) engagera la responsabilité de la personne morale.
Toutefois, sous l’influence de la RSE, de la compliance et des lois anti-corruption, les juges semblent aller de plus en plus loin, étendant au maximum cette responsabilité pénale - ce qui ne peut (consciemment ?) qu’aller dans le sens d’encourager à son respect.
Ainsi, la personne morale peut désormais être poursuivie et sanctionnée s’il est démontré que son dirigeant a seulement contribué à l’infraction en ne mettant pas en place les obligations de conformité (12), des obligations
professionnelles (13), ou en les respectant seulement en façade (14) ; le but économique de l’entreprise devant s’effacer face à l’éthique (15).
Le droit pénal des affaires, rejoint ici le droit pénal du travail, l’hygiène/sécurité étant un autre objectif RSE, où la responsabilité pénale de l’employeur pour un accident du travail est classiquement engagée du fait de son « défaut de vigilance dans l’application et le respect des règles de sécurité » (16) ; là encore la sécurité des salariés devant primée sur le chiffre d’affaires.
Allant plus loin encore, les juges ont récemment admis que l’infraction de corruption engageant la personne morale pouvait être commise par des salariés, même non titulaires d’une délégation de pouvoir (17).
L’extension se fait également concernant les matières elles-mêmes, au-delà des habituelles infractions en droit pénal des affaires (corruption, ABS…) et droit pénal du travail (accidents, discrimination, harcèlement), les sociétés peuvent se voir désormais reprocher des actes violant l’éthique ou les objectifs « vertueux » du RSE comme le financement du terrorisme (18), ou la traite d’êtres humains (19), ou la déforestation.
En conclusion :
Accroissement des risques d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales à travers la triple extension des modes de commission de l’infraction, des personnes pouvant engager cette responsabilité, ou des infractions pouvant être utilisées ou visées, d’un côté ; risque de se voir refuser – en tout ou en partie – la qualité de victime, de l’autre. Un arsenal pénal est mis ainsi aujourd’hui en œuvre pour que le respect de la RSE ne soit plus laissé au seul bon vouloir des entreprises mais soit, bien au contraire, fortement encouragé voire imposé.
(1) Responsabilité sociale des entreprises, Rep. Dalloz sociétés, par FG Trebulle.
(2) Livre vert, promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, Commission Européenne, 2001.
(3) Code de la compliance, Marie-Emma BOURSIER, définition de la compliance.
(4) V. le « Projet de guide pratique anticorruption à destination des PME et des petites ETI » de l’AFA en cours de discussion ; La gestion des règles de compliance dans les PME/ETI, cahiers de droit de l’entreprise n°2, Mars 2021, entretien 2.
(5) Une arnaque au Président coûte plus de 19 millions d’euros à Pathé, BFM, 10.11.2018 ; Faux Le Drian : deux hommes condamnés à sept et dix ans en appel, Le Monde, 09.09.2020.
(6) Recrudescence des arnaques aux faux virements dans les entreprises, L’usine Nouvelle, 11.03.21.
(7) DGSI, flash ingérence économique, n°70 – Les risques de captation d’informations liés aux partenariats déséquilibrés avec des acteurs étrangers, décembre 2020.
(8) Crim. 19.03.2014, n°12-87.416 « après avoir constaté l'existence et la persistance, pendant plus d'un an, d'un défaut de contrôle hiérarchique, négligence qui a permis la réalisation de la fraude et concouru à la production du dommage, et l'absence d'un quelconque profit retiré par le prévenu des infractions commises » la Cour relève (…) « l'existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières ». Le Préjudice est de fait réduit.
(9) Art. 121-2 code pénal.
(10) Crim., 28.06.1902, n°37
(11) Art. 121-2 code pénal ; pour une corruption non effectuée pour « le compte » de la personne morale et excluant sa responsabilité : Crim. 4.06.1998, n°96-86.623.
(12) Crim14.03.2018, n°16-82.117.
(13) Crim. 4.06.21, n°21-81.656.
(14) Crim. 16.06.2021 n°20-83.098 qui souligne la volonté de mettre en place une structure donnant une « apparence de légalité ».
(15) Comme cela a été clairement dit par la Cour de cassation dans le dossier LAFARGE, Crim. 7.09.21, 3 arrêts, n°19-87.031, 036, et 367.
(16) Crim. 23.11. 1950, bull. 267.
(17) Crim. 16.06.2021n°20-83.098, les salariés ayant été qualifiés de « représentants de fait » de la société.
(18) Crim. 7.09.21, 3 arrêts, n°19-87.031, 036, et 367, Lafarge.
(19) En février 2021, une plainte a été déposée par des ONG à l’encontre de Nike pour pratiques commerciales trompeuses et complicité de recel de travail forcé en raison de sa relation d’affaires avec Qingdao Taekwang Shoes Co qui aurait eu recours à un transfert de 600 ouvriers ouïgours de la Province du Xinjiang. En avril 2021, une action pénale a également été intentée par des ONG à l’encontre d’Inditex, Uniqlo, SMCP et Skechers pour recel de crime de réduction en servitude aggravée, de crime de traite des êtres humains en bande organisée, de crime de génocide et de crime contre l’humanité.