Agent commercial et distributeur : une double casquette autorisée

Agent commercial et distributeur : une double casquette autorisée

Cass. com., 20 mars 2024, n°22-21.230

 

 

Ce qu’il faut retenir :

Dans cet arrêt publié au Bulletin officiel, la Cour de cassation consacre la possibilité, pour un agent commercial, de détenir une clientèle propre pour l’exercice d’une activité de distribution, à la condition que cette activité soit indépendante. Une même personne peut ainsi être à la fois un agent commercial et un distributeur doté de sa propre clientèle. 

 

Pour approfondir :

En 1998, une société de droit allemand spécialisée dans la fabrication de matériaux d'étanchéité confiait à une société française la commercialisation exclusive de ses produits en France, au titre d'un contrat d'agent commercial.

 

Cette même société française, l'agent commercial, exerçait par ailleurs une activité de distribution de produits de filtration de l'air et d'étanchéité auprès d'industriels, dans le même secteur d’activité.

 

Les relations entre les parties se sont dégradées jusqu'à ce que l'agent commercial, reprochant à son mandant l'usage de moyens déloyaux pour permettre son éviction, prenne acte de la rupture de la relation commerciale le 22 mars 2018.

 

Le mandant considérait pour sa part que la rupture résultait de différents manquements de l'agent commercial à ses obligations et a notifié à ce dernier la résiliation du contrat pour faute grave.

L'agent commercial a alors assigné le mandant devant les juridictions françaises, notamment pour obtenir paiement de son indemnité de fin de contrat.

 

Les juges du fond ont fait droit à sa demande tant en première instance qu'en appel, lui octroyant une indemnisation totale avoisinant les 290.000€.

Le mandant a alors formé un pourvoi en cassation en contestant la qualification même d'agent commercial de l'intermédiaire.

Selon lui, l'activité de distributeur exercée par cet agent commercial lui conférait une clientèle propre et la qualité de commerçant, ce qui serait incompatible avec le statut d'agent commercial.

 

La question centrale posée à la Cour était ainsi la suivante : un agent commercial peut-il cumuler son activité avec une autre activité professionnelle, notamment une activité de distributeur, dès lors que cette dernière lui confère une clientèle propre et la qualité de commerçant ?

La Cour de cassation répond par l'affirmative en admettant le cumul d'activités par les agents commerciaux.

Elle considère que l'exercice d'une activité de distributeur, même si elle confère à l'agent une clientèle propre et la qualité de commerçant, n'est pas incompatible avec le statut d'agent commercial, dès lors que l'activité d'agent commercial est exercée de manière indépendante.

Le raisonnement de la Cour de cassation repose sur deux arguments principaux.

 

Tout d'abord, il s'appuie sur la jurisprudence rendue par la Cour de justice de l'Union européenne (« CJUE »). La CJUE a en effet jugé que le cumul d'une activité d'agent commercial avec une activité d'une autre nature, ne fait pas obstacle à la qualification du contrat en contrat d'agent commercial, dès lors que l'activité d'agent commercial est exercée de manière indépendante (CJUE, arrêt ZAKO, C-452/17, point 49).

 

Ensuite, la Cour de cassation constate l'absence de disposition légale excluant le cumul d'activités pour les agents commerciaux. En effet, l'article L. 134-1 du Code de commerce, qui définit le statut d'agent commercial, ne contient aucune disposition interdisant le cumul d'activités.

 

Par ailleurs, si le législateur français a prévu, à l'article L. 134-15 du Code de commerce, que « lorsque l'activité d'agent commercial est exercée en exécution d'un contrat écrit passé entre les parties à titre principal pour un autre objet, celles-ci peuvent décider par écrit que les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la partie correspondant à l'activité d'agence commerciale », cette disposition ne vise pas la situation dans laquelle, comme en l'espèce, les activités d'une autre nature exercées par l'agent commercial ne procèdent pas de l'exécution du contrat d'agent commercial.

 

La Cour de cassation pose toutefois une limite à ce cumul d'activités : l'autre activité ne doit pas empêcher l'exercice de l'activité d'agent commercial « de manière indépendante ». Cette exigence d'indépendance vise à protéger les intérêts du mandant et à éviter que l'agent commercial ne privilégie son activité personnelle au détriment de ses obligations contractuelles.

 

En l'espèce, la Cour de cassation relève qu’il n’est pas avancé que l'activité de distributeur de l’agent commercial l’empêche d’exercer son activité d’agent commercial de manière indépendante, de sorte que le moyen n’est pas fondé.

Cette décision, bien qu’elle ne soit pas surprenante quant au raisonnement juridique suivi, soulève des interrogations quant à ses implications pratiques.

En effet, si la jurisprudence admet désormais clairement qu'un agent commercial peut parallèlement distribuer des produits de manière indépendante, ce même s’il s’agit de produits similaires, cela interroge sur la loyauté de l’agent.

 

Dans le cadre de son mandat, l’agent a en effet accès à un certain nombre d'informations dont il pourrait user pour servir ses propres intérêts et son propre commerce.

À la lumière de cet arrêt, il est d'autant plus crucial de définir, dans les contrats d'agents commerciaux, l'étendue des activités que l'intermédiaire peut exercer par ailleurs.

 

A rapprocher : Cass. com. 29 juin 2010, n° 09-66.773

 

Un article rédigé par Julie Astruc du département Concurrence, Distribution, Consommation