Abus de majorité et rappel des limites de la nullité statutaire

Abus de majorité et rappel des limites de la nullité statutaire

Cass. com., 7 mai 2025, n° 23-21.508, Bull.

 

Ce qu’il faut retenir :

Par son arrêt du 7 mai 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme un principe déjà dégagé par la jurisprudence : la nullité d’une assemblée ne peut résulter que de la méconnaissance d’une règle impérative du livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats. Dès lors, la simple méconnaissance des statuts n’est pas suffisante pour être sanctionnée par la nullité.

Elle retient également que la preuve d’un abus de majorité appartient exclusivement à la partie qui l’invoque : c’est à cette dernière de démontrer, cumulativement, l’atteinte à l’intérêt social et l’intention de favoriser la majorité à son détriment.

Pour approfondir :

À quelques mois de l’entrée en vigueur de la réforme du régime des nullités en droit des sociétés, l’arrêt du 7 mai 2025 fait le lien entre le droit existant et les règles qui seront bientôt codifiées.

En l’espèce, le litige prend naissance au sein de la SARL polynésienne Tahiti art Maohi. Le 27 juillet 2016, l’assemblée générale ordinaire révoque l’une des cogérantes de la société sans faire figurer le « juste motif » de cette révocation dans le procès-verbal, alors même que l’article 19-2° des statuts de la société exigeait une telle mention. La dirigeante évincée assigne alors la société en nullité de cette assemblée, ainsi que de toutes celles tenues a posteriori, sur les fondements de la violation statutaire et de l’abus de majorité. La Cour d’appel de Papeete accueille ces prétentions.

Sur le fondement de l’abus de majorité

Pour qualifier l’abus de majorité, la Cour d’appel avait notamment reproché à la société de ne pas établir que la révocation servait l’intérêt social.

La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 1353 du Code civil (1315 ancien) en considérant que la Cour d’appel a inversé la charge de la preuve. Elle précise que la preuve d’un abus de majorité incombe à la partie qui l’invoque. Dès lors, la société n’a pas à prouver que sa décision de révocation du gérant est conforme à l’intérêt social. Il revient donc au demandeur de démontrer, cumulativement, l’atteinte à l’intérêt social et l’intention de favoriser la majorité à son détriment. En l’absence de tels éléments, l’abus de majorité ne saurait être retenu.

Sur le fondement de la violation statutaire

La Cour de cassation censure les juges du fond en ce qu’aucune disposition impérative du livre II du Code de commerce ne prévoit que le motif de révocation doit être rapporté au procès-verbal de l’assemblée générale révoquant le mandat du dirigeant social. La clause statutaire méconnue ne revêtant qu’une valeur contractuelle, sa violation ne pouvait entraîner la nullité, conformément à l’article L. 235-1 du Code de commerce.

La solution dégagée dans l’arrêt Larzul 1 se trouve ainsi réaffirmée : la méconnaissance d’une clause statutaire n’emporte nullité que lorsque celle-ci résulte de l'aménagement d'une faculté offerte par une disposition impérative de la loi.

L’enseignement de l’arrêt doit désormais se lire à la lumière de l’ordonnance qui entrera en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2025. Le futur article 1844-10, alinéa 4, du Code civil entérinera le principe consacré ici : « Sauf si la loi en dispose autrement, la violation des statuts ne constitue pas une cause de nullité ». Toutefois, il sera mis fin à la règle selon laquelle, pour les sociétés commerciales, la nullité d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent les contrats. En effet, le 3ème alinéa du futur article 1844-10 du Code civil disposera que « La nullité des décisions sociales ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de droit des sociétés, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833, ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ». Point d’attention pour les sociétés par actions simplifiées : les statuts pourront en outre prévoir la nullité des décisions prises en violation des statuts (article L. 227-20-1 nouveau du Code de commerce).

À rapprocher :

 

Un article rédigé par Yara Kheirbek et Alexandra BOUZERAND, du département Société, Finance, Cessions & Acquisitions