L'accord franco-algérien du 27 décembre 1968
Par décret n° 69-248 du 18 mars 1969 du Président de la République a été publié au JO du 22 mars 1969 l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, signé à Alger le 27 décembre 1968.
Ce décret du Président de la République, pris au visa des articles 52 à 55 de la Constitution, est contresigné par le Premier ministre (Maurice Couve de Murville) et par le ministre des affaires étrangères (Michel Debré).
La question est posée de savoir dans quelles conditions l’accord franco-algérien pourrait être dénoncé, remarque étant faite que les stipulations de l’accord sont muettes sur ce point.
Cette question appelle les éléments de réponse suivants.
- Contrairement à ce qui a pu être soutenu, la dénonciation de l’accord ne relève pas de la compétence exclusive du Président de la République. Si le second alinéa de l’article 5 de la Constitution prévoit que le chef de l’Etat « est le garant (…) du respect des traités », qu’il « négocie et ratifie » aux termes de l’article 52 de la Constitution, il ne s’en déduit pas qu’il s’agisse là d’une compétence propre, dispensée du contreseing ministériel. Les attributions du Président de la République dispensées de ce contreseing sont limitativement énumérées à l’article 19 de la Constitution, qui ne comporte aucune mention de l’article 5. La négociation, la ratification, la dénonciation ou la suspension d’un traité ne sont pas mentionnées à l’article 19. En conséquence, la décision de dénoncer l’accord du 27 décembre 1968 relève de la compétence partagée du Président de la République et du Premier ministre.
- On ne peut exclure, au demeurant, que le Parlement ait son mot à dire dans cette affaire. Il résulte en effet des termes mêmes de l’article 53 de la Constitution que les traités « qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». En l’espèce, il n’est guère douteux que les stipulations de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 concernent, au moins pour partie, des matières législatives. La circonstance qu’en 1968, le Parlement n’en ait pas été saisi ne saurait, aujourd’hui, dispenser du respect de cette règle constitutionnelle. Autrement dit, la dénonciation de l’accord relève de l’initiative soit du Gouvernement qui saisirait le Parlement d’un projet de loi en ce sens, soit du Parlement sous la forme d’une proposition de loi tendant au même objectif. Dans un cas comme dans l’autre, si la loi était adoptée, le Président de la République n’aurait d’autre choix que de la promulguer. Enfin, à supposer que le recours à la loi ne soit pas nécessaire du fait que l’accord de 1968 n’avait pas lui-même été ratifié par voie législative, sa dénonciation relèverait non pas de la seule décision du Président de la République mais d’une décision conjointe de ce dernier et du Premier ministre, à l’initiative du Gouvernement pour les raisons exposées au point 1.
- Pour autant, la dénonciation de l’accord n’est pas la seule solution qui s’offre aux pouvoirs publics. Le droit international prévoit en effet la possibilité de suspension temporaire de tout ou partie des traités, notamment en raison d’un changement fondamental des circonstances par rapport à celles qui existaient au moment de la conclusion de l’accord. Tel est le cas lorsque, par exemple, l’une des parties, en l’espèce l’Algérie, n’applique pas le principe de réciprocité rappelé par l’article 55 de la Constitution. Cette « théorie du bouleversement des circonstances », dont procède la clause dénommée « rebus sic stantibus », est admise par la Cour internationale de justice comme cause de suspension des traités ; elle se retrouve à l’article 72 de la Convention de Vienne sur les traités du 23 Mai 1965 ; la doctrine unanime reconnaît l’existence de ce principe.
Surtout, il est jugé (CE. Ass. 18 décembre 1992, Préfet de la Gironde c/ Mahmedi) que la décision par laquelle le Gouvernement suspend unilatéralement un traité constitue un « acte de gouvernement » pris dans la conduite des relations internationales et qui n’en est pas détachable. Il s’ensuit que cet acte de souveraineté échappe à la compétence du juge administratif, qui ne peut pas même en connaître par la voie de l’exception d’illégalité. Les seules conditions de l’opposabilité en droit interne d’une mesure de suspension d’un traité, à l’instar de celle décidée en 1986 pour ce qui concerne les relations avec le Maroc, sont, d’une part, sa notification par la voie diplomatique à la diligence du ministre des affaires étrangères et, d’autre part, sa publicité.
Dans ces conditions, si l’accord franco-algérien de 1968 relève des compétences partagées entre le Président de la République et le Premier ministre et paraît supposer également l’intervention du Parlement compte tenu de la nature du texte, la suspension de tout ou partie de celui-ci pour une période donnée est entièrement à la main du Gouvernement, sous réserve que soient respectés les usages diplomatiques et que la mesure soit portée à la connaissance du public dans une forme suffisante. S’agissant des titres de séjour et des visas, la suspension de l’accord de 1968 aurait pour effet, sans affecter les droits des personnes en bénéficiant déjà, de placer les ressortissants algériens qui viendraient à en réclamer le bénéfice sous l’empire des seules dispositions de droit commun.
Un article rédigé par Hugues HOURDIN du département Droit Public des Affaires