Ce qu’il faut retenir :
Une mesure d’interdiction de gérer peut être prononcée à l’égard d’un dirigeant alors même que celui-ci n’avait pas une connaissance effective de l’état de cessation des paiements de sa société à la date fixée par le jugement de report, dès lors que les circonstances permettent d’établir que dans les 45 jours précédant l’ouverture de la procédure collective, il ne pouvait pas l’ignorer.
Pour approfondir :
Depuis la « Loi Macron » du 6 août 2015, l’omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours doit être volontaire pour être fautive et justifier le prononcé d’une mesure d’interdiction de gérer à l’encontre d’un dirigeant (Com. 15 mai 2019, n° 16-10.660). L’arrêt commenté clarifie cette exigence d’ « omission volontaire » mais également celle de la connaissance effective, par le dirigeant, de l’état de cessation des paiements, à la date judiciairement fixée.
En l’espèce, une procédure de redressement puis liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard d’une société. La date de cessation des paiements, initialement fixée au 1er janvier 2016, a été reportée au 6 octobre 2014.
Le liquidateur a demandé et obtenu en première instance et en appel que soit prononcé, à l’égard du gérant, une mesure d’interdiction de gérer pour une durée de 7 ans sur le fondement de l’omission volontaire de procéder à la déclaration de l’état de cessation des paiements (C. com., art. L. 653-8, al. 3).
Le gérant a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt au motif qu’il ne pouvait être condamné sur ce fondement dans la mesure où il ignorait sa cessation des paiements au 6 octobre 2014.
La Haute juridiction rejette le pourvoi, considérant que le gérant ne pouvait l’ignorer alors que :
- dès le premier semestre 2015, la part patronale des cotisations sociales n’était pas réglée ;
- à partir du dernier trimestre 2015, la TVA n’était pas réglée ;
- quatre mois avant l’ouverture de la procédure collective, les salaires étaient impayés.
La Cour de cassation valide ainsi la décision des premiers Juges au motif, non pas que le dirigeant avait connaissance de l’état de cessation des paiements au 6 octobre 2014, date judiciairement fixée, mais pour la raison qu’il ne pouvait ignorer être en état de cessation des paiements antérieurement au délai légal maximal de 45 jours pour procéder à la déclaration de cessation des paiements.
La question que pose cet arrêt publié au bulletin est celle de savoir si la sanction est encourue parce que le dirigeant avait connaissance de l’état de cessation des paiements à la date fixée judiciairement ou si elle l’est parce qu’il avait connaissance d’un état de cessation des paiements antérieur de 45 jours à la déclaration.
Les Sages optent pour cette seconde approche du texte.
Pourtant, ils avaient par le passé pu juger, lors d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, que l’omission volontaire de déclarer la cessation des paiements devait s’apprécier à la date fixée soit par le jugement d’ouverture, soit le jugement de report, le cas échéant (Cass. com., 27 sept. 2016, n° 14-13.926 et 14-50.034).
La solution peut aussi surprendre car le juge de la sanction est tenu par la date de cessation des paiements retenue par le jugement de report (C. com., art. R. 653-1).
L’esprit du texte se voulant moins sévère, on peut s’étonner de la position de la Cour.
Pour autant, la solution n’est en réalité pas nouvelle. La tendance jurisprudentielle est en effet que la preuve de la connaissance effective de la situation financière de la société n’est pas nécessaire et qu’il suffit de disposer d’éléments permettant de constater que le gérant ne pouvait ignorer l’état de cessation des paiements (Cass. com., 17 juin 2020, n° 19-10.341) ; ce qui est sanctionné, c’est le comportement abusif.
En l’espèce, les circonstances relevées par la Cour de cassation suffisaient à démontrer que le gérant avant sciemment omis de déclarer l’état de cessation des paiements.
In fine, l’appréciation de l’omission volontaire doit se faire au regard de la date d’ouverture de la procédure et non de la date de cessation des paiements judiciairement fixée. Si dans les 45 jours qui précèdent cette ouverture, le dirigeant ne peut ignorer la cessation des paiements, alors cette condition est caractérisée.