Union Européenne : le contrôle des investissements sortants par la Commission européenne
Point au 13 février 2025
En bref :
Dans un contexte mondial marqué par des tensions croissantes entre les grandes puissances, la Commission européenne a publié le 15 janvier 2025, une recommandation invitant les États membres à contrôler les investissements sortants et à évaluer les risques pour la sécurité économique dans trois secteurs :
- les semi-conducteurs,
- l’intelligence artificielle, et
- les technologies quantiques.
Tandis que les États-Unis ont récemment durci les restrictions sur les investissements sortants américains, notamment dans les technologies critiques, Bruxelles adopte une position plus mesurée.
L’approche des USA :
Depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les États-Unis ont intensifié leurs efforts pour protéger leur suprématie technologique.
De nouvelles restrictions sont entrées en vigueur le 2 janvier 2025, aux Etats-Unis, visant plus particulièrement les investissements dans les semi-conducteurs, les technologies quantiques, la micro-électronique, et l’intelligence artificielle.
Le 23 janvier 2025, Donald Trump a même sommé les participants du Forum de Davos de choisir leur camp : « Soit vous venez fabriquer aux Etats Unis et vous bénéficierez de la fiscalité la plus faible de la planète, soit vous voulez produire ailleurs et alors vous aurez des tarifs douaniers ».
L’approche européenne :
La Commission a décidé d’accorder aux États membres de l’Union européenne (« UE ») un délai allant jusqu’au 30 juin 2026 pour procéder à un premier audit des investissements, dans les technologies jugées critiques, sans pour autant en faire une obligation immédiate.
Dans un communiqué de presse du 15 janvier 2025, la Commission européenne écrit : « L'objectif ultime de la Commission est d'éviter que les investissements sortants de l'UE n'aient une incidence négative sur la sécurité économique de l'Union en veillant à ce que des technologies et des savoir-faire clés ne tombent pas entre de mauvaises mains ».
« L'Union européenne est et restera parmi les leaders, tant dans l'attraction que dans la génération d'investissements de classe mondiale. Toutefois, compte tenu de la géopolitique d'aujourd'hui, nous devons avoir une compréhension plus approfondie des risques potentiels qu'elle peut entraîner. » justifie Maroš Šefčovič, commissaire chargée du commerce et de la sécurité économique.
Ainsi, contrairement aux États-Unis, l'Union européenne avance avec précaution.
Concrètement, les États membres de l’UE ont jusqu’en 2026 pour mener un audit volontaire des investissements dans leurs entreprises et secteurs stratégiques.
Cette recommandation de réexamination des investissements sortants vise, sans le dire, ceux dirigés vers la Chine.
En effet, l’une des principales difficultés de cette réflexion sur les risques liés aux investissements sortants, est le manque de données disponibles sur ces derniers.
Le Livre blanc de la Commission européenne (documents contenant des propositions d'action de l'UE dans un domaine spécifique) évoque même un « manque de données » à ce sujet [1].
En outre, cette approche précautionneuse peut également s’expliquer par la volonté de l’Union européenne de maintenir une relation équilibrée avec la Chine qui reste un partenaire économique majeur.
Le lobby des grands groupes français, l'Afep, s'inquiète d’ailleurs des velléités de Bruxelles de brider les investissements à l'étranger, en particulier sur le deuxième marché mondial.
Cette approche est également partagée par Bercy qui affirme que : « La priorité est la poursuite de l'analyse des risques. Ce n'est que dans un second temps - après la remise du rapport final des Etats membres le 30 juin 2026 - que la question de la nécessité d'adopter ou non un éventuel mécanisme de contrôle se posera ».
Les différents flux d’acquisitions entre l’Europe et la Chine :
Selon un rapport approfondi de l'IFRI (Institut français des relations internationales), les Européens ont financé dix fois moins d'opérations que les Américains dans les secteurs sensibles en Chine (de 2003 à 2023).
Selon les données de LSEG (London Stock Exchange Group), en M&A et tous secteurs confondus :
• Les Européens continentaux ont investi 32 milliards de UDS en Chine au travers de 607 transactions ces dix dernières années –
• Dont 6,5 milliards USD dans 104 deals côté Français.
• Les Etats-Unis, eux, en affichent 85,4 milliards USD dans 689 deals.
Sur le commerce des biens, l'UE a longtemps eu un déficit commercial avec la Chine, qui a atteint un niveau record de 396 milliards d'euros en 2022.
En 2023 (les chiffres pour 2024 n’étant pas encore disponibles), les biens que l'UE a le plus importés de Chine étaient :
• les équipements de télécommunications
• les machines et appareils électriques
• et les machines automatiques de traitement de données.
Les biens que l'UE a le plus exportés vers la Chine en 2023 étaient :
- Les automobiles et véhicules
- Les médicaments et,
- Autres machines.
A l’inverse, les flux sortants chinois en direction des Etats-Unis et de l’Union européenne ont fortement chuté ces dernières années.
Après avoir connu un pic en 2016, les flux sortants chinois vers l’Union européenne se sont effondrés depuis 2019 (-35%).
En 2023, les importations en provenance de Chine et à destination de l’UE ont diminué en valeur, mais elles auraient augmenté en termes de volume.
Toutefois, si les investissements chinois en Europe sont en baisse, ils sont devenus particulièrement dynamique dans le secteur des batteries et des véhicules électriques depuis 2021 (70% des investissements chinois en Europe en 2023).
Et après ?
Cette recommandation de Bruxelles ouvre une période d’examen par les États membres des investissements sortants dans les trois domaines prioritaires précités.
Les entreprises opérant dans ces secteurs devraient, par conséquent, être sollicitées assez rapidement.
Sur le plan pratique, et s'appuyant sur les travaux du groupe d'experts de la Commission sur les investissements sortants, la recommandation fournit aux États membres des orientations sur la manière de détecter et d'évaluer les risques potentiels posés par ces transactions.
Cet examen doit durer 15 mois et devrait concerner les transactions en cours, ainsi que celles passées à partir du 1er janvier 2021.
Les États membres sont invités à présenter un rapport d'avancement au plus tard le 15 juillet 2025 ainsi qu'un rapport complet sur la mise en oeuvre de cette recommandation et sur tout risque détecté au plus tard le 30 juin 2026.
A rapprocher :
- Recommandation de la Commission européenne du 15/01/25
- Analyse de l’IFRI (2024)
- https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/avec-ou-contre-lamerique-a-davos-le-monde-selon-donald-trump-2144430 (23/01/25)
- https://www.lesechos.fr/finance-marches/ma/malgre-trump-bruxelles-temporise-sur-le-controle-des-acquisitions-vers-la-chine-2147573 (08/02/25)
- https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/investissements-etrangers-la-chine-et-les-etats-unis-boudent-la-france-2094223 (12/05/24)
- Direction générale du Trésor
- Livre Blanc sur les investissements sortants (2024)
- EU trade relations with China
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52024DC0024
Un article rédigé par Cristelle Albaric, du département International