Refus de permis de construire : le recours à des prescriptions spéciales relève de l’appréciation discrétionnaire de l’administration, et ne constitue pas une obligation pour permettre la délivrance
CE avis du 11 avril 2025, n° 498803
Ce qu'il faut retenir :
Dans un avis n°498803 en date du 11 avril 2025, le Conseil d’Etat crée un revirement majeur dans le contentieux des autorisations d'urbanisme en abandonnant définitivement l'obligation pour l'administration de rechercher s'il est possible d'autoriser un projet en l'assortissant de prescriptions spéciales. Cette décision de section, rendue à la demande du Tribunal administratif de Toulon, clarifie de manière tranchée que l'usage de prescriptions spéciales constitue une faculté discrétionnaire de l'administration et non une obligation, même lorsque de telles mesures permettraient de remédier aux irrégularités constatées.
Pour approfondir :
I. L'origine de la saisine
Le Conseil d'État a été saisi par le Tribunal administratif de Toulon dans le cadre d'un litige portant sur le refus d'un maire de délivrer un permis de construire pour un projet de bâtiment à usage mixte comprenant des commerces en rez-de-chaussée, des bureaux en R+1 et dix logements en R+2 et R+31. Le pétitionnaire soutenait que la mairie aurait dû lui délivrer l'autorisation sollicitée en l'assortissant de prescriptions spéciales, soulevant ainsi une question sur l'étendue des obligations de l'administration en matière d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme.
La question préjudicielle formulée par le Tribunal administratif de Toulon le 8 novembre 2024 était la suivante : « Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l'autorité compétente d'assortir son autorisation d'urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l'assortissant de prescriptions ? ».
Il s’agit donc de savoir si l’administration a une obligation de rechercher des solutions alternatives au refus, notamment par l’assortiment de prescriptions aux autorisations.
II. L'évolution jurisprudentielle antérieure
Avant cet avis, la jurisprudence administrative connaissait une évolution contrastée concernant l'usage des prescriptions spéciales. La décision de référence en la matière était l'arrêt "Deville"[1], qui avait établi pour l'application de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme[2] que l'administration ne pouvait régulièrement opposer un refus d'autorisation qu'à condition qu'il ne soit pas possible d'accorder l'autorisation demandée en l'assortissant de prescriptions assurant la conformité du projet, sans y apporter de modifications substantielles. Cette jurisprudence créait une obligation pour l'administration de rechercher activement des solutions de régularisation par prescriptions.
Par ailleurs, elle concordait avec la jurisprudence plus vaste du Conseil d’Etat et des tribunaux administratifs en matière de refus de permis de construire.[3]
Cependant, cette solution était parfois critiquée pour son application moins pertinente sur des dispositions plus « impératives », pour lesquelles les tribunaux administratifs jugeaient tout de même illégales les décisions de refus.
III. La solution adoptée par le Conseil d'État
Le Conseil d'État rappelle d'abord les principes en matière d’autorisations d'urbanisme.
Conformément aux articles L. 421-6 et L. 421-7 du Code de l'urbanisme, le permis de construire ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords. Cette exigence de conformité constitue un impératif pour tout octroi d'autorisation d'urbanisme.
Il en résulte que « l'autorité administrative compétente doit s'assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires et de n'autoriser, sous le contrôle du juge, que des projets conformes à ces dispositions ». Cela souligne la responsabilité de l'administration dans le contrôle de la légalité et la nécessité d'une approche rigoureuse de l'instruction des demandes.
Le Conseil d'État précise aussi les modalités selon lesquelles un pétitionnaire peut adapter son projet aux exigences réglementaires. En l'absence de dispositions y faisant obstacle, il est possible pour le pétitionnaire d’apporter pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite des modifications qui n'en changent pas la nature.
Mais le vrai revirement est constitué par la position du Conseil d’Etat concernant le statut des prescriptions spéciales. Le Conseil d'État établit clairement que "l'autorité administrative compétente dispose également, sans jamais y être tenue, de la faculté d'accorder le permis de construire ou de ne pas s'opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales".
Cette position du Conseil d’Etat marque ainsi une rupture avec la jurisprudence antérieure qui imposait dans certains cas une obligation de recherche de solutions alternatives, en retenant le caractère facultatif des prescriptions et la faculté discrétionnaire en la matière de l’administration. Ces prescriptions spéciales ne peuvent néanmoins porter que sur des modifications limitées : elles doivent entraîner "des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d'un nouveau projet" et avoir "pour effet de vérifier la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect".
Cette limitation implique que les prescriptions ne peuvent constituer un moyen de transformer fondamentalement un projet non conforme.
[1] Conseil d’Etat, 26 juin 2019, n°412429.
[2] « Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. »
[3] « Considérant, en revanche, que, pour rejeter en août 1978 la demande de permis modificatif présentée par la société pour régulariser les travaux déjà faits et permettre la poursuite du projet, le préfet des Alpes-Maritimes s'est fondé sur les dispositions des articles R.111-2, R.111-4 et R.111-21 du code de l'urbanisme, seul applicable en l'absence de plan d'occupation des sols ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les insuffisances du projet au regard des articles R.111-2 (protection contre l'incendie) et R.111-4 (nombre d'emplacement de stationnement) n'impliquaient que des modifications minimes qui auraient pu faire l'objet de simples prescriptions de l'arrêté de permis de construire », Conseil d’Etat, 12 mai 1989, n°96665.
Un article extrait de La Lettre des Affaires Publiques - Juin - Juillet 2025