Présomption irréfragable de connaissance des vices cachés : la qualité de vendeur professionnel doit être démontrée
Cass. com., 17 janv. 2024, n°21-23.909
Ce qu’il faut retenir :
Dans cet arrêt publié au Bulletin officiel, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article 1645 du Code civil, il existe une présomption irréfragable de connaissance, par le vendeur professionnel, du vice affectant la chose vendue. Il est toutefois impératif de caractériser la qualité de « vendeur professionnel » en recherchant si le vendeur se livrait de façon habituelle à la commercialisation du produit en cause, sous peine de cassation pour défaut de base légale.
Pour approfondir :
En avril 2007, un fabricant d’engins forestiers a vendu un engin agricole à une société professionnelle des travaux forestiers.
Cette dernière a ensuite donné cet engin en location-vente à l’exploitant d’une entreprise de débardage, par un contrat du 10 janvier 2015
L’engin a pris feu lors de son ravitaillement en carburant, occasionnant sa destruction ainsi que des dégâts sur les propriétés environnantes.
L’assureur de l’exploitant a alors assigné le fabricant de l’engin et le revendeur en garantie des vices cachés. Le revendeur a quant à lui exercé une action récursoire contre le fabricant.
Par un arrêt du 7 septembre 2021, la Cour d’appel de Pau a condamné la société ayant consentie la location-vente à régler à l’assureur de l’exploitant la somme totale de 101.695,82 € pour les différents chefs d’indemnisation et les frais d’assistance à l’expertise par un technicien.
La société ainsi condamnée a intenté un pourvoi en cassation aux motifs que (i) seul le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose, qualité qui n’aurait pas été recherchée par la Cour d’appel, et (ii) l’action récursoire aurait été à tort déclarée irrecevable.
La Cour de cassation, par arrêt publié au Bulletin, a finalement conclu à une double cassation de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau.
Sur le premier moyen, relatif à la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, la Cour de cassation a tout d’abord rappelé la lettre de l’article 1645 du Code civil. Aux termes de cet article, la présomption irréfragable oblige le vendeur professionnel à réparer l’intégralité de tous les dommages qui sont la conséquence du vice.
Ce premier point ne soulève pas de difficulté et fait l’objet d’une jurisprudence ancienne et constante.
Pour pouvoir appliquer la présomption irréfragable posée par les textes, encore faut-il néanmoins démontrer que le vendeur avait bien la qualité de professionnel.
Or, la Cour d’appel de Pau s’est livrée à cet exercice succinctement : après avoir constaté que le revendeur était une société professionnelle de travaux forestiers, elle en a déduit qu’il avait la qualité de vendeur professionnel.
Ce raisonnement est insuffisant pour la Cour de cassation, qui a considéré qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le revendeur se livrait de façon habituelle à la vente d’engins agricoles, la Cour d’appel de Pau n'a pas donné de base légale à sa décision.
Le « caractère habituel » de l’opération de vente n’est pas un critère nouveau aux fins de qualifier un vendeur de professionnel. Par exemple, un responsable d’agence bancaire a pu être considéré professionnel de la vente de véhicules d’occasion, dans la mesure où il se livrait à cette activité à une fréquence inhabituelle pour un particulier (Cass. civ. 1ère, 30 sept. 2008, n°07-16.876).
En conséquence, si l’arrêt commenté ne procède pas à un revirement de jurisprudence sur le sujet, il n’en demeure pas moins un rappel intéressant pour illustrer l’importance de la démonstration de la qualité de vendeur professionnel. Ce critère ne peut être déduit aux termes d’un simple raccourci tiré de l’exercice d’une activité professionnelle par la société mise en cause.
Sur le second moyen, relatif à la recevabilité de l’action récursoire, la difficulté résidait dans le fait que la vente de l’engin agricole était intervenue en 2007, soit avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réformant le droit de la prescription.
La Cour de cassation a fait application des articles 1648, alinéa 1er, et 2232 du Code civil, selon lesquelles l’action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
Tandis que les juges du fond ont considéré que l’action récursoire était irrecevable comme prescrite, dans la mesure où le délai-butoir prévu à l’article 2232 du Code civil n’était pas en vigueur en 2007, la Cour de cassation a retenu une analyse inverse.
Elle a conclu que le délai-butoir de vingt ans posé par l’article 2232 du Code civil était applicable aux ventes commerciales ou mixtes conclues avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription décennal antérieur n’était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie.
Ce raisonnement suit le principe posé par la Cour de cassation en chambre mixte le 21 juillet 2023 (Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, n° 21-17.789, n° 21-19.936 et n° 20-10.763).
La Cour de cassation a donc retenu qu’en déclarant l’action récursoire irrecevable, les juges du fond ont violé les dispositions légales susvisées.
A rapprocher : Cass. civ. 1ère, 30 sept. 2008, n°07-16.876 ; Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, n° 21-17.789, n° 21-19.936 et n° 20-10.763
Un article rédigé par Julie Astruc du département Concurrence, Distribution, Consommation