Nullité de la clause interdisant la revente sur internet et résiliation aux torts du franchiseur du fait de son manquement à son obligation de bonne foi et d’assistance
Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 4 juin 2025, n°2206185
Ce qu'il faut retenir :
Dans un litige opposant un franchiseur à son multi-franchisé, la Cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur la validité des clauses d’interdiction de vente sur internet, d’interdiction de revente entre franchisés, d’approvisionnement exclusif et de non-concurrence post-contractuelle, ainsi que sur la résiliation des contrats de franchise aux torts exclusifs du franchiseur du fait de ses manquements notamment à ses obligations de bonne foi et d’assistance. L’arrêt illustre la conciliation entre droit de la concurrence et droit des contrats, et confirme que l’exécution de bonne foi demeure le socle de la relation de franchise.
Pour approfondir :
Plusieurs sociétés franchisées, regroupées autour d’un même associé, avaient conclu entre 2012 et 2017 différents contrats de franchise pour exploiter un concept de diététique et de vente de compléments alimentaires. En janvier 2019, les franchisées ont adressé une mise en demeure au franchiseur pour divers manquements contractuels (interdiction de vente en ligne, assistance insuffisante, irrégularités d’approvisionnement). Faute de réponse satisfaisante, elles ont prononcé la résiliation du contrat sur le fondement de la clause résolutoire et poursuivi leur activité sous une nouvelle enseigne. Le franchiseur les a assignées pour rupture abusive, violation de la clause de non-concurrence et parasitisme. En défense, les franchisées ont demandé l’annulation des contrats ou, subsidiairement, la résiliation aux torts du franchiseur.
Le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la résiliation aux torts du franchiseur. La Cour d’appel de Paris confirme en grande partie, en annulant certaines clauses et en validant d’autre.
Outre la question du parasitisme, qui ne sera pas analysée dans le présent article, La Cour d’appel était amenée à se prononcer sur deux séries de questions : d’une part, la validité de plusieurs clauses restrictives contenues dans les contrats et, d’autre part, l’appréciation des manquements du franchiseur justifiant la résiliation du contrat à ses torts.
S’agissant d’abord des clauses contractuelles, la Cour d’appel de Paris a tenu en premier lieu à rappeler que le caractère purement interne d’un contrat de franchise liant deux sociétés implantées uniquement sur le territoire français ne faisait pas obstacle à l’application du droit de l’Union Européenne et de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) dès lors que les pratiques en cause aboutissaient « de par leur nature […] à cloisonner le marché en entravant le développement direct d’échanges intracommunautaires à partir des différents canaux de distribution mis à la disposition des franchisés », outre que les pratiques étaient, par l’ampleur du réseau en cause, susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres.
La Cour d’appel a déclaré nulles les clauses d’interdiction de vente sur internet et de revente entre franchisés aux motifs que ces clauses n’étaient pas objectivement justifiées au regard des produits en cause, et constituaient une entente ne pouvant bénéficier d’une exemption. Concernant la clause d’interdiction de revente sur internet, l’argument du franchiseur, selon lequel la spécificité de son concept nécessitait une distribution exclusive en magasin, n’a pas convaincu. Les juges relèvent au contraire que des ventes sur internet existaient à l’étranger pour des produits identiques et que rien ne justifiait objectivement une telle interdiction absolue. La clause interdisant les reventes entre franchisés connaît le même sort. Elle est analysée comme une pratique de cloisonnement du marché, empêchant inutilement les franchisés d’échanger entre eux des produits déjà agréés.
La clause de non concurrence post-contractuelle étant limitée géographiquement au territoire national et non pas au local à partir duquel est exercée l’activité franchisée a classiquement été considérée comme disproportionnée au regard de l’objectif de protection du savoir-faire, et déclarée nulle.
La Cour a cependant confirmé la validité de la clause d’approvisionnement exclusif en ce qu’elle était « indispensable pour préserver le savoir-faire et l’identité du réseau fondé sur une adéquation entre les méthodes techniques mises au point par le franchiseur en conseil diététique et les produits qui y sont associés ». La Cour souligne que cette obligation est inhérente à la logique même de la franchise : elle garantit l’homogénéité de la gamme de produits, la cohérence entre les méthodes techniques et les biens commercialisés, ainsi que la préservation de la réputation du réseau. Cette analyse s’inscrit dans la théorie des restrictions accessoires, selon laquelle une restriction de concurrence peut être admise dès lors qu’elle est nécessaire à la mise en œuvre du contrat et proportionnée à l’objectif poursuivi. Dans ce cas précis, l’approvisionnement exclusif n’apparaissait pas comme une entrave injustifiée à la concurrence, mais comme une condition indispensable à l’identité commune du réseau.
Ainsi, la décision trace une frontière nette entre les clauses qui se justifient par la protection du savoir-faire transmis et celles qui, en revanche, excèdent ce qui est nécessaire et faussent le jeu concurrentiel.
Malgré la nullité de ces clauses, la Cour a confirmé la décision de première instance en ce qu’elle n’a pas déclaré nul le contrat en application des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, le caractère essentiel de ces clauses au regard de l’économie du contrat n’étant pas démontré.
Au-delà de cette analyse des clauses, la Cour devait se prononcer sur la résiliation des contrats de franchise. Le franchiseur reprochait aux franchisés une rupture fautive, orchestrée dans le but de rejoindre une enseigne concurrente. Les franchisés soutenaient au contraire que leur décision découlait des manquements répétés de leur partenaire contractuel. La Cour leur a donné raison, en confirmant la résiliation aux torts exclusifs du franchiseur.
Les manquements retenus sont multiples et significatifs. Tout d’abord, la Cour pointe les contradictions dans la politique commerciale du franchiseur. Alors que les franchisés étaient tenus de ne vendre qu’en magasin, le franchiseur annonçait parallèlement un partenariat avec Amazon, brouillant la cohérence du concept et fragilisant la position de ses cocontractants. Ensuite, l’obligation d’assistance, qui constitue un pilier du contrat de franchise, n’a pas été respectée. Les visites prévues contractuellement étaient rares, les conseils superficiels et la formation réduite à de simples modules en ligne, insuffisants pour assurer le dynamisme du réseau. À cela s’ajoutent des irrégularités d’approvisionnement, marquées par des ruptures de stock répétées, ainsi qu’un manque de transparence dans la renégociation des tarifs avec les fournisseurs.
Pris isolément, chacun de ces griefs aurait déjà pu nourrir un doute sur l’exécution loyale du contrat. Pris ensemble, ils caractérisent un manquement global à l’obligation de bonne foi, principe cardinal en matière contractuelle. La Cour rappelle à cet égard que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, et que le franchiseur, en tant que tête de réseau, porte une responsabilité particulière dans la coordination et l’animation de son réseau.
Cette analyse démontre que la validité formelle d’une clause ne suffit pas : encore faut-il que son exécution concrète soit cohérente avec l’économie générale du contrat. En l’espèce, la contradiction entre l’interdiction imposée aux franchisés et les choix stratégiques du franchiseur, combinée à l’insuffisance de l’accompagnement, traduisait une rupture de l’équilibre contractuel. C’est sur ce fondement que la résiliation a été prononcée à ses torts.
Cet arrêt fournit une illustration significative de deux points. Sur le plan du droit de la concurrence, seules les restrictions strictement nécessaires à la protection du savoir-faire et de l’identité du réseau échappent à la nullité, tandis que les clauses trop larges ou injustifiées sont annulées. Sur le terrain contractuel, le franchiseur ne peut se contenter d’un rôle formel : il doit exécuter ses obligations de manière loyale, assurer un accompagnement réel et une stratégie cohérente. Faute de quoi, la sanction peut aller jusqu’à la résiliation du contrat à ses torts exclusifs.
En conciliant contrôle des stipulations contractuelles et exigence de bonne foi dans l’exécution, la Cour d’appel de Paris rappelle que la franchise, outil puissant de développement commercial, demeure étroitement encadrée par le droit de la concurrence et par les principes fondamentaux du droit des contrats.
Un article rédigé par Clémence BERNE du département Droit de la Distribution | Concurrence | Consommation