Nécessaire rappel des conditions d’opposabilité d’une ordonnance sur requête

Nécessaire rappel des conditions d’opposabilité d’une ordonnance sur requête Cass. 2e civ., 8 févr. 2024, n° 21-21.719

Cass. 2e civ., 8 févr. 2024, n° 21-21.719

 

Ce qu’il faut retenir :

Conformément à l’article 495 du Code de procédure civile, si la présentation de la minute d’une ordonnance rendue sur requête est suffisante à rendre ladite ordonnance exécutoire, elle ne peut, en revanche, être opposable à la personne à l’encontre de laquelle elle a été rendue que si cette dernière a été destinataire d’une copie de cette ordonnance mais également de la requête qui en est à l’origine.

 

Pour approfondir :

Au visa de l’ancien article L. 313-12 du Code de la consommation (devenu l’article L. 314-20 du Code de la consommation), le débiteur d’un contrat de crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier peut saisir le juge des contentieux de la protection (auparavant juge d’instance) afin de se voir accorder des délais de grâce dans les conditions prévues à l’article 1343-5 du Code civil.

 

Mais la question s’est posée de l’opposabilité d’une telle ordonnance octroyant des délais de grâce sur requête lorsque seule la minute de l’ordonnance avait été transmise au créancier concerné.

 

En effet, si l’article 495 du Code de procédure civile précise que l’ordonnance est exécutoire « au seul vu de la minute », cet article poursuit en précisant que « copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ».

 

Il y avait donc lieu de savoir si une ordonnance sur requête pouvait être opposable au créancier concerné lorsque seule la minute de l’ordonnance lui avait été délivrée.

 

En l’espèce, le débiteur d’un crédit à la consommation souscrit le 2 juillet 2007 auprès d’une banque avait saisi, par le biais d’une requête, le juge d’instance afin de se voir accorder des délais de grâce sur le fondement de l’ancien article L. 313-12 du Code de la consommation.

 

Par une ordonnance sur requête en date du 4 février 2014, le juge d’instance a fait droit à sa demande, et a ainsi suspendu les obligations du débiteur pendant un délai de 24 mois.

 

Par courrier du 24 aout 2015, soit pendant le délai de suspension, la banque avait cependant prononcé la déchéance du terme du prêt. Le débiteur a alors assigné la banque devant un tribunal de grande instance, qui, par jugement du 9 mars 2018, a dit que l’ordonnance du 4 février 2014 était exécutoire et opposable à la banque, et qu’en conséquence la déchéance du terme avait été prononcée abusivement au 24 août 2015, mais qu’elle était valable au 8 février 2016, et a condamné le débiteur au paiement d’une somme au titre du capital restant dû et des intérêts.

 

Appel a été interjeté de cet arrêt par le débiteur, et la Cour d’appel de Saint Denis de la Réunion a confirmé le jugement en ce qu’il a dit que la déchéance du terme avait été irrégulièrement prononcée.

 

La banque s’est pourvue en cassation, et a fait grief à l’arrêt de lui avoir déclaré opposable l’ordonnance du 4 février 2014 alors que, selon elle, la décision accordant un délai de grâce à un consommateur ne peut être opposable au créancier concerné que si la procédure a été contradictoire, et qu’il résulte de l’article 495 alinéa 3 du code de procédure civile qu’une ordonnance sur requête n’est pas exécutoire lorsque son bénéficiaire s’abstient de laisser à la disposition de la partie adverse une copie de sa requête.

 

Sur le premier moyen, la Cour reprend clairement son argumentation, sans surprise : conformément à l’ancien article 851 du Code de procédure civile, devenu l’article 845, le juge d’instance (désormais président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection) peut être saisi sur requête dans les cas prévus par la loi. Or, l’article L. 313-12 du Code de la consommation, désormais L. 314-20 du Code de la consommation, prévoit expressément que l’exécution des obligations du débiteur peut être suspendue par ordonnance, d’où il s’en déduit nécessairement que le juge peut être saisi sur requête.

 

Sur le second point, la solution de la Cour de cassation a le mérite de rappeler une règle qui, pourtant légalement prévue, semblait être parfois prise avec trop de légèreté par les juges du fond.

 

En effet, la Cour d’appel retenait que le caractère exécutoire et opposable de l’ordonnance se déduisait de la simple délivrance à la banque de la minute de l’ordonnance.

 

Si une telle affirmation est en partie (seulement) exacte, la Cour d’appel n’était cependant pas allée au bout du raisonnement, car si le caractère exécutoire de l’ordonnance nait bien de la seule présentation de la minute, en revanche son opposabilité au créancier concerné ne nait que grâce à la délivrance d’une copie l’ordonnance et de la requête à ce créancier.

 

Ainsi, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel qui, pour retenir que l’ordonnance était exécutoire et opposable à la banque, relevait simplement que la banque n’avait pas contesté l’ordonnance sur requête, mais elle n’avait pas recherché si elle avait été destinataire de la copie de la requête, sans laquelle l’ordonnance ne lui était pas opposable.

 

A rapprocher :

Civ.2°, 1er sept. 2016, n°15-23.326

 

Un article rédigé par Clémence Berne, du département Concurrence, Distribution, Consommation