L’importance de la rédaction des clauses d’agrément afin d’éviter l’interprétation in concreto des juges

L’importance de la rédaction des clauses d’agrément afin d’éviter l’interprétation in concreto des juges

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 8, 3 janvier 2025, n°23/07757

 

Ce qu’il faut retenir :

La Cour d’appel de Paris, Cour de renvoi après cassation, a rendu un arrêt rappelant l’importance de la rédaction de la clause d’agrément au sein des statuts constitutifs d’une société. A défaut, les juges devront interpréter ladite clause. Cette interprétation se fait nécessairement in concreto, notamment en recherchant l’intention des parties au moment de la rédaction de la clause.

 

Pour mémoire :

La clause d’agrément est la clause permettant aux associés d’une société de pouvoir contrôler les nouveaux actionnaires entrant au capital de la société, en autorisant ou non les cessions d’actions.
Pour les sociétés anonymes, les clauses d’agrément sont régies par l’article L.228-23 du Code de commerce.

 

Pour approfondir :

Le 3 janvier 2025, la Cour d’appel de Paris a été saisie à la suite d’un renvoi de la Cour de cassation pourtant sur des cessions d’actions intervenant entre les membres d’une même famille.

En effet, deux sociétés anonymes du même groupe étaient gérées par un père et son fils. La majorité des actions étaient détenues par les membres de cette famille, avec des liens de parenté plus ou moins éloignés.

En 2018, l’un des actionnaires dans ces deux sociétés a cédé l’intégralité de ses actions au cousin germain du père. Le lendemain, le cousin germain a cédé l’intégralité des actions qu’il venait d’acquérir à son fils.

Ces cessions ont été notifiées quelques mois après aux dirigeants des sociétés. Ces derniers ont répondu qu’ils refusaient d’inscrire lesdites cessions sur le registre des mouvements de titres, considérant qu’elles étaient nulles car étant intervenues en violation des clauses d’agrément stipulées, de manière identique, dans les statuts des deux sociétés.

Le 28 décembre 2018, le cousin germain et son fils ont alors assigné les deux sociétés devant le Tribunal de commerce de Paris afin de voir les cessions inscrites au registre des mouvements de titres.

Par jugement du 14 juin 2019, le Tribunal de commerce de Paris a fait droit à leurs demandes.

Les sociétés ont interjeté appel de cette décision. Ainsi, par arrêt du 8 avril 2021, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de première instance au motif que les clauses d’agrément stipulées au sein des contrats s’appliquaient en cas de cession entre actionnaires. La Cour a alors déclaré les cessions nulles et entachées de fraude.

Les intimés se sont alors pourvus en cassation. Par arrêt du 15 mars 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris et renvoyé les parties devant cette même Cour, autrement composée. En effet, la Cour d’appel avait apprécié l’existence des clauses d’agrément par référence à la loi, alors que la loi permet, mais n’oblige pas, la soumission à agrément des cessions d’actions entre actionnaires.

Par l’arrêt du 3 janvier 2025, la Cour d’appel de Paris a, alors, dû répondre à la question suivante : les clauses d’agrément stipulées au sein des statuts constitutifs s’appliquaient-elles aux cessions entre actionnaires ?

A la suite d’une interprétation in concreto des clauses, la Cour a répondu par la négative à cette question.

En effet, constatant que les parties ne s’accordaient pas sur le sens à donner aux clauses d’agrément, la Cour a tout d’abord vérifié si ces clauses étaient rédigées de manière claire et lisible.

A cette fin, la Cour a relevé que ces clauses étaient rédigées de manière large, elle a donc examiné le contexte juridique dans lequel ces clauses ont été rédigées et a constaté que cela ne suffisait pas à connaître le champ d’application des clauses.

Dès lors, la Cour a recherché quelle était la commune intention des parties. Elle a ainsi analysé les assemblées générales et constaté qu’en 1985, l’objectif de l’insertion des clauses d’agrément fût de « limiter la libre transmission des actions de la société aux tiers ».

La Cour a ensuite étudié l’assemblée générale de 1991, modifiant les clauses d’agrément, notamment en ce qu’il a été déclaré par les dirigeants que :

« Est libre la création d’une indivision légale ou conventionnelle entre actionnaires ou entre actionnaires et autres personnes pouvant bénéficier d’une cession ou transmission exonérée du droit d’agrément stipulé aux termes du présent article

Est également libre le transfert d’un droit de jouissance ou d’usage à une société en participation constituée entre actionnaires ou entre actionnaires et autres personnes pouvant bénéficier d’une cession ou transmission exonérée du droit d’agrément stipulé aux termes du présent article.

Toutes cessions et transmissions d’actions sont libres entre parents collatéraux au deuxième et troisième degré. »

Or, la Cour a constaté que cela ne confirmait pas que les cessions entre actionnaires étaient soumises à l’agrément.

Par conséquent, la Cour a poursuivi son analyse en examinant les évolutions législatives de l’article L.228-23 du Code de commerce puisque les clauses d’agrément faisaient référence à la loi.

Bien que les modifications législatives aient supprimé la référence à un tiers, permettant d’instaurer une clause d’agrément aux cessions entre actionnaires au sein des sociétés anonymes, la Cour a constaté qu’il ne s’agissait que d’une faculté et non d’une obligation.

Puis, en 2013, une nouvelle assemblée générale est intervenue et il était clairement exprimé que l’objectif des clauses d’agrément était d’empêcher l’entrée dans l’actionnariat des personnes dont la présence pouvait être contraire à l’intérêt de la société.

Ainsi, la Cour a jugé que les cessions entre actionnaires n’entraient pas dans le champ d’application des clauses d’agrément stipulées au sein des sociétés.

Il en résulte que la Cour a écarté également la fraude à la clause d’agrément, bien qu’elle ait constaté que le cousin germain ne comptait pas conserver les actions mais souhaitait uniquement les revendre à son fils pour effectuer une plus-value.

Puis, la Cour a relevé que ces cessions n’avaient pas modifié l’équilibre capitalistique au sein des sociétés concernées.

Ainsi, la Cour a confirmé le jugement du Tribunal de commerce du 14 juin 2019 en ce qu’il a ordonné, sous astreinte, d’inscrire les cessions intervenues au registre des mouvements de titres.
La Cour d’appel de renvoi a confirmé également la nullité des assemblées générales du 27 septembre 2018, dès lors que le cédant initial y avait participé, en violation des cessions d’actions qui sont intervenues.

À rapprocher : Cass. com., 29 sept. 2009, n° 08-20.526 ; Cass. com. 15 mars 2023, no 21-15.393

 

 

Un article rédigé par Johanne AMABLE du département Concurrence, Distribution, Consommation