Indemnisation des pertes subies par un mandataire distributeur de carburants

Indemnisation des pertes subies par un mandataire distributeur de carburants

CA Paris, Pôle 5, Ch. 4 ; 8 janvier 2025, n°23/01060

 

Ce qu'il faut retenir :

Une compagnie pétrolière a l’obligation d’indemniser les pertes subies par son mandataire distributeur de carburants nées à l’occasion du mandat. Ces pertes ne peuvent être compensées avec les recettes des activités annexes de la station-service issues de la location-gérance.

 

Pour approfondir :

Une société pétrolière a signé un contrat d’exploitation d’une station-service avec un distributeur.

Ce dernier exploitait la station-service dans le cadre d’un contrat combinant :

• Un mandat pour la distribution de produits pétroliers,
• Une location-gérance de fonds commerce pour la distribution d’autres produits et des activités annexes.

La société pétrolière a mis fin au contrat.

Le distributeur a été contraint d’assigner la société pétrolière afin d’obtenir le remboursement des pertes essuyées au cours du mandat.

Pour rappel, au titre des articles 1999 et 2000 du Code civil), le mandant a l’obligation de rembourser au mandataire (i) les avances et frais engagés pour l’exécution du mandat et (ii) l’indemnisation des pertes subies à l’occasion de sa gestion.

Afin d’échapper à cette obligation, la société pétrolière a invoqué que :
- Le distributeur avait renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ;
- Le contrat était indivisible, de sorte que les bénéfices issus de la location-gérance devaient compenser les pertes du mandat ; le distributeur ne pouvant que réclamer la différence entre ces montants.

Ces arguments ont été rejetés par la Cour.

1. Sur la renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil

La Cour a écarté cet argument en raison, d’une part, d’une contraction entre deux clauses du contrat :

• L’une stipulait une renonciation aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil,
• L’autre imposait au mandant la prise en charge des pertes du mandataire.

Rappelant qu’en présence d’un contrat d’adhésion, toute contradiction entre deux clauses doit être interprétée contre la partie qui l’a rédigé (en l’occurrence, la société pétrolière), la Cour a conclu que la clause de renonciation était sans effet.

D’autre part, la Cour a souligné que la société pétrolière ne pouvait se soustraire à son obligation d’indemniser les pertes du mandataire au motif qu’il a été renoncé aux dispositions des articles 1999 et 2000 du code civil, dans la mesure où, en sa qualité de mandante, elle gardait la maîtrise de l’activité de vente de carburants (choix des carburants, fixation des prix, modalités de vente et de paiement).

2. Sur l’indivisibilité entre le mandat et la location-gérance

La Cour d’appel a également rejeté cet argument en relevant que :
• Aucune clause ne prévoyait expressément une indivisibilité,
• La société pétrolière n’avait pas prouvé l’intention commune des parties en ce sens.

Selon la Cour, le fait que la vente de produits pétroliers et les activités annexes s’adressaient à une même clientèle importait peu.

La Cour a ainsi jugé que la société pétrolière ne pouvait invoquer une compensation entre les pertes résultant de l'activité de vente de carburants et les bénéfices provenant des activités annexes.

Par le passé, la jurisprudence considérait les activités de location-gérance et de mandat comme « complémentaires et indissociables », ce qui impactait le calcul de l’indemnisation des pertes subies dans le cadre du mandat. (Notamment Cass. Com., 17 déc. 2002, pourvoi nº 01-02.221).

Cependant, la Cour d'appel de Paris semble aujourd’hui s'éloigner de cette position, en soulignant que l'indivisibilité ne justifie pas automatiquement que les pertes du mandat puissent être compensées par les bénéfices des activités annexes issues de la location-gérance. Elle a ainsi statué en ce sens dans un arrêt récent (CA Paris, 22 févr. 2024, n° 19/04223).

En conclusion, cet arrêt illustre une évolution jurisprudentielle vers une approche plus nuancée où l’indivisibilité n’est pas niée mais ne peut être automatiquement retenue dans ce schéma contractuel.

 

À rapprocher :
Cass. com. 5 févr. 2002, n° de pourvoi 98-17.529 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 1er juin 2022, n° 21/12106 ;

Un article rédigé par Claire SAADOUN du département Concurrence, Distribution, Consommation