Eclaircissements bienvenus en matière de modification de droits attachés aux actions de préférence
Cass. Com., 10 juillet 2024 n° 22-15.836
Ce qu’il faut retenir :
Dans cet arrêt, la Cour de cassation vient faire la lumière sur le régime applicable aux opérations de modification des droits attachés aux actions de préférence dans les sociétés par actions simplifiées, en affirmant d’une part (i) que cette opération, en l’absence de dispositions statutaires spécifiques, nécessite d’obtenir le consentement individuel des titulaires, et (ii) qu’elle constitue, d’autre part, une opération de « conversion » au sens de l’article L 228-15 du Code de commerce, de sorte qu’il est nécessaire d’écarter lesdits titulaires, du vote des décisions portant sur ces modifications, sous peine de nullité.
Pour approfondir :
La Cour d’appel de Lyon avait jugé, dans un arrêt du 17 février 2022 (Cour d'appel de Lyon 3a 17 février 2022 n° 18/07114), que la modification des droits attachés à des actions de préférence d’une société par actions simplifiée n’emportait pas conversion de ces actions, et qu’une telle modification pouvait être décidée par l’assemblée générale des associés compétente pour modifier les statuts (en l’espèce, l’assemblée générale extraordinaire de ladite société), aux motifs qu’aucune disposition légale ne nécessitait de recueillir le consentement des titulaires.
En l’espèce, l’assemblée générale extraordinaire des associés d’une société par actions simplifiée qui avait précédemment émis et attribué des actions de préférence bénéficiant d’un droit à des dividendes prioritaires, avait ensuite unilatéralement réduit le montant dudit dividende prioritaire attaché aux actions de préférence, et modifié en conséquence les statuts de la société.
Les titulaires des actions de préférence concernées avaient demandé d’une part, la nullité des résolutions modifiant les droits attachés à leurs actions, et d’autre part, le paiement de sommes à titre de complément de dividendes.
S’appuyant sur l’article L 227-1 du Code de commerce (qui écarte l’application aux sociétés par actions simplifiées de certaines dispositions du Code de commerce gouvernant les sociétés anonymes, en ce compris les dispositions relatives aux actions de préférence (article L 225-99)), la Cour d’appel avait créé une situation ubuesque qui permettait aux associés d’une SAS de modifier unilatéralement les droits attachés aux actions de préférence, sans que leurs porteurs puisse y avoir à redire, à moins de bénéficier d’une minorité de blocage.
Au grand soulagement de la doctrine, la Cour de cassation affirme ici au contraire que le consentement individuel des titulaires des actions de préférence concernés est bel et bien requis, prenant appui sur le principe selon lequel les conventions ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement de toutes les parties (article 1134 du Code civil dans son ancienne rédaction). La liberté statutaire érigée en principe fondateur de la société par actions simplifiée lui permet ensuite de rappeler toutefois que les statuts peuvent encadrer les « modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés ».
La Cour de cassation livre dans un second temps une définition inédite de l’opération de conversion.
Pour rappel, l’alinéa 2 article L 228-15 du Code de commerce dispose que « les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, à peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie et les actions qu’ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, à moins que l’ensemble des actions ne fassent l’objet d’une conversion en actions de préférence ».
La Cour d’Appel, après avoir visé ces dispositions, avait rejeté la demande en annulation des résolutions litigieuses, en considérant qu’en l’espèce, il ne s’agissait pas d’une opération de conversion dès lors que « le vote soumis aux associés de la société ne portait pas sur la création d’une action de préférence mais sur la modification à la baisse des modalités de rémunération d’actions de préférence déjà existantes ».
La Cour de cassation casse et annule ce moyen, en considérant que toute opération emportant modification des droits attachés aux actions de préférence emporte « conversion », au sens et pour l’application de l’article L 228-15 al. 2 du Code de commerce.
Ainsi, selon la Cour de cassation, une modification des droits entraine de facto un changement de catégorie de ces actions « quand bien même ces actions continuaient d’être désignées sous le même intitulé » (en l’espèce des « actions de préférence « P » »). En conséquence, la Cour d’Appel aurait dû déduire que les titulaires desdites actions de préférence n’auraient pas dû prendre part au vote, et que par suite, les résolutions litigieuses étaient entachées de nullité.
La Haute Juridiction confirme ainsi le caractère sérieux d’une modification de droits attachés aux actions de préférence, en y attachant le régime strict de la conversion et écartant les porteurs du vote des résolutions correspondantes.
Les praticiens du droit des sociétés doivent prendre la mesure de cette décision en redoublant de vigilance, en amont, dans la rédaction des clauses statutaires relatives aux actions de préférence. Prévoir les modalités de modification de ces actions apparait désormais indispensable afin d’anticiper une évolution des droits y attachés. Dans le cas contraire, s’assurer l’obtention des consentements individuels des titulaires devra être un préalable nécessaire à toute modification.
A rapprocher :
Article L 228-15 du Code de commerce
Article 1103 du Code civil (ancien Article 1134 du Code civil)
Un article rédigé par Eric Kopelman, et Camille Neri-VARSZEGI du département Corporate.